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Mourir lorsqu’on est pauvre : « où s’arrête la dignité ?” [28]
Une des forces de ce travail, visant à permettre une fin de vie et un enterrement dignes, pour tous, a été le croisement d’expérience et de savoir entre personnes vivant la pauvreté, acteurs économiques, universitaires, responsables institutionnels, associatifs, politiques…
Description
Une formidable ode à la vie, à l’humanité, pour changer le regard de notre pays sur la question des inégalités sociales face à la mort
Cet ouvrage invite à relire l’histoire de notre société française face à la mort, à découvrir la réalité des derniers moments et des obsèques vécus dans le dénuement. Il montre aussi les dynamiques qui permettent que, face à ces situations, des hommes et des femmes se lèvent – personnes vivant la pauvreté, universitaires, responsables d’entreprise, responsables institutionnels, associatifs, politiques… Croisant leurs expériences et leurs savoirs, c’est ensemble, par leur action, qu’ils ouvrent la voie d’une fin de vie et d’un enterrement dignes, pour tous. Au-delà des témoignages, des vies retracées, ces pages sont une formidable ode à la vie, à l’humanité, qui, nous l’espérons, changera le regard de notre pays sur la douloureuse question de la « mort dans la misère ».
Dossiers et documents de la Revue Quart Monde n° 28
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Extrait
La misère vécue « à la maison », « cachée derrière ses volets », est une misère silencieuse, inexistante pour la plupart de nos concitoyens. Cependant, c’est lors des naissances et lors des décès que nous croisons tout à coup ces oubliés de la vie. Ils interpellent notre humanité. Notre système de santé est préparé et focalisé sur l’accueil de la vie et sa préservation. Mais au cours de ce travail réalisé dans le cadre du département santé du Mouvement ATD Quart Monde, les participants, qu’ils soient pauvres et militants, ou professionnels et alliés de ceux-ci, nous ont tous interpellés avec force sur la nécessaire préparation de notre société à accompagner les malades en fin de vie dans les milieux d’extrême pauvreté et à mettre en œuvre une réflexion suivie d’actions dignes permettant aux plus pauvres « d’enterrer dignement leurs morts ».
On constate ici que les analyses et les préconisations des personnes pauvres s’appliquent à elles et à leurs pairs, mais qu’elles peuvent aussi souvent trouver leur résonance dans le vécu de l’ensemble de la population. Cependant, comme elles vivent ces événements avec plus de violence, elles ressentent les injustices de manière plus forte, n’ayant aucun recours à attendre. Elles font preuve pourtant d’une vraie capacité de résilience ainsi que d’une qualité d’analyse et de proposition qui nous conduisent à penser que favoriser les dynamiques de « pair émulation » et soutenir les « pairs aidants » dans leur rôle et dans leur action est sans doute aujourd’hui une des voies d’amélioration et d’optimisation de nos pratiques.
Il n’en demeure pas moins que ce travail nous conduit à une prise de conscience de cette désespérance d’une partie de notre société autour de la prise en charge de la mort. Or, en France, vivre à la rue tue à 46 ans en moyenne ! Depuis vingt-cinq ans, en France, les inégalités sociales face à la mort se maintiennent. « Aucune personne de la rue ne doit être oubliée une deuxième fois dans sa mort », disait Cécile Rocca, du Collectif des Morts de la Rue. « Tu as eu une vie de chien et tu as quand même envie d’être enterré décemment », disait Noël Caffaxe, militant Quart Monde.
La mise en œuvre de la « mutuelle pour tous » avec la généralisation au 1er juillet 2015 des contrats « aide à la complémentaire santé » sur le modèle d’ATD Quart Monde a été une étape importante. Cependant, les frais d’ensevelissement n’ont pas été intégrés à l’appel d’offres pour les contrats ouvrant droit à l’aide d’état à la complémentaire santé. La CMU-C ne comporte pas non plus de volet obsèques. Ce sont donc les personnes les plus pauvres dans notre pays qui n’ont pas de couverture obsèques, les salariés et leurs ayants droit quant à eux bénéficient d’un capital-décès, somme versée par la Sécurité sociale aux proches du défunt. Il reste alors la solution de l’enterrement des indigents. Mais les municipalités ne peuvent et ne veulent pas enterrer toutes les personnes sous le seuil de pauvreté !
La recherche-action qui est présentée par les militants Quart Monde et leurs alliés a permis, d’une part, de recueillir les préconisations d’amélioration de notre système de prévoyance pour que les plus pauvres y aient accès et, d’autre part, de rechercher les moyens de mettre en action les propositions d’amélioration de la prise en charge des obsèques des populations pauvres et des indigents. C’est ce que nous avons fait en onze étapes, ce fut une longue, rigoureuse et fructueuse démarche qui est décrite en détail dans ce document. Cette étude montre comment les usagers de la santé les plus fragiles ont initié les possibilités de mettre fin à cette insécurité supplémentaire liée à la mort qui pèse sur les familles les plus pauvres. Cette expérimentation, à l’initiative des usagers du système de santé, pourra, nous en sommes convaincus, apporter la preuve que notre pays peut permettre aux personnes pauvres ou vivant en précarité un accès de droit à des conditions d’enterrement dignes et humaines. Ici encore les plus pauvres montrent leur capacité à humaniser notre société et leur dynamisme. Lorsqu’ils jouent collectif, lorsqu’on leur donne les moyens et les conditions de la participation, celle-ci est efficace. Une des forces de ce travail a été le croisement d’expérience entre les usagers et des personnes extrêmement différentes, issues de milieux professionnels et universitaires très divers.
Une vraie nécessité fait loi, celle de travailler ensemble sur un programme, un dispositif, une loi, des recommandations. Quelle que soit la forme que prendra ce travail de proposition et d’amélioration, il est urgent. La recherche de meilleures capacités fonctionnelles de notre système de santé et de protection sociale autour de la fin de vie et de l’inhumation ou le renforcement de celles-ci est l’objectif essentiel de notre contribution à ce débat de société.
Huguette Boissonnat Pelsy