
Patrick Valentin, combattant du droit à l’emploi
L’homme qui porte le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée » se voit comme un résistant. Itinéraire.
Patrick Valentin a un regret: « j’aurais voulu connaître Socrate », le grand philosophe grec de l’Antiquité. Mais il est né à Angers en 1943. Il a connu les décennies de croissance, de crises et de récessions avec leur cortège d’inégalités. Et plutôt que philosopher, il a choisi d’agir.
L’homme à l’origine du projet Territoires zéro chômeur de longue durée, se définit comme « un résistant », « critique face aux manières de penser de la majorité », comme son oncle Sylvain qui l’a tant influencé.
Capucin, Sylvain a connu la relégation en raison d’une grave maladie. Guéri, il est resté auprès des grands handicapés. Patrik Valentin revendique un parcours aussi cohérent autour du combat de sa vie: « l’emploi, un droit pour tous ».
Vieille famille angevine
Patrick Valentin, qui vit à Mozé-sur-Louet, un bourg de 200 habitants près d’Angers, est issu d’un vieille famille angevine « proche de ses racines ». L’un de ses aïeux, natif de Cholet, a été tué durant la guerre de Vendée (1793-1796). Une aïeule a été fusillée à Angers alors qu’elle venait d’accoucher de son douzième enfant. « Ils ont payé leur attachement au catholicisme », résume-t-il.
Ingénieur commercial, passionné d’agriculture intensive, son père travaille pour la Société des potasses d’Alsace qui produit des engrais. Sa mère s’occupe des cinq enfants. La famille suit le père nommé à Amiens. Patrick Valentin y fait sa scolarité au collège privé La Providence.
Noviciat, études et voyages
Le bac en poche, le jeune homme rejoint la Compagnie de Jésus. Faut-il y voir l’influence de l’oncle Sylvain ? Il entre au noviciat. Jésuite, il choisit de ne pas devenir prêtre. Il quitte la Compagnie au bout de neuf ans: « Je ne souhaitais pas rester célibataire ».
Ce fut une période « passionnante », se souvient-il. Il étudie beaucoup – les lettres, la philo, de la sociologie et de la psychologie, ainsi que la théologie. Il voyage aussi beaucoup – « dès 1962 j’étais déjà en plein dans la mondialisation ». Il vit en Inde aux côtés des déshérités des basses castes. Il sera notamment tailleur de pierres. Il enseigne à Madagascar. Il est aussi animateur pour jeunes à Metz.
Détour par la métallurgie
Patrick Valentin épouse alors Dominique, rencontrée dans un camp de vacances pour handicapés physiques organisé par l’oncle Sylvain. Issue d’une famille catholique de brasseurs du nord, elle est prof de philo et décrochera plus tard une maîtrise de théologie.
Patrick Valentin assure qu’il n’y a là aucune rupture: « je n’ai rien renié sur le fond. La question principale demeure: quel sens donner à sa vie ? ».
Il rejoint le Groupe des industries métallurgiques de la Région parisienne où il est chargé de la formation continue et se forme lui-même en gestion. Mais le couple est vite las de cette existence un peu vaine – repas entre métallurgistes, bavardages de salon… En 1975, il part à Angers retrouver une vie « qui a du sens ».
Des entreprises à la chaîne
Un cousin – il en compte 36 rien que du côté maternel – lui parle d’un Centre d’aide par le travail pour les déficients intellectuels. Une révélation. Il rencontre des parents qui se battent pour que leur fils, handicapé, puisse travailler. Plus que jamais, Patrick Valentin en est convaincu: « l’emploi est un droit ».
Chaque année ou presque, il crèe une structure et avec elle, des emplois – 5 centres d’aide par le travail, des chantiers de réinsertion, des foyers d’hébergement, des services d’aide à domicile, un centre de réadaptation pour ados handicapés, etc. Un vrai marathon.
Aujourd’hui encore, il préside une douzaine d’associations. En ce moment, il vend « une affaire » pour en lancer une autre, plus utile. « Mon but a toujours été: sortir les gens de la situation difficile où ils se trouvent ».
Rencontre avec ATD Quart Monde
« Je suivais tous ses écrits mais je n’ai pas connu Joseph Wresinski », fondateur d’ATD Quart Monde (1917-1988). La rencontre avec le Mouvement se fera sur le tard. En 1997, Patrick Valentin est interviewé par Jean Guinet pour la revue Quart Monde(1). Tous deux restent en contact. Et quand Jean Guinet part en retraite, Patrick Valentin le remplace et anime le Réseau Wresinski emploi-formation du Mouvement.
Très vite, il relance son projet de lutte contre le chômage de longue durée. En 1995, il avait tenté une première fois de le mettre en place, à Seiches-sur-le-Loir (Maine-et-Loire). Mais il avait dû renoncer, faute de loi d’expérimentation. Cette fois, le projet va avancer à petits pas afin d’éviter les erreurs passées. Jusqu’à ce début 2016 où après le vote du Sénat, la mise en oeuvre peut commencer.
Si près du but
« Le vin d’Anjou conserve », plaisante celui qui fut élevé par son arrière-grand-mère. Bon pied bon oeil à 72 ans, Patrick Valentin multiplie les aller-retour Paris-Angers. Si près du but, il ne refuse aucune sollicitation. Le voilà un peu saltimbanque, lui qui aime tant sa maison angevine et la vie de famille. Le couple a quatre enfants – Fabrice, 45 ans, d’origine antillaise, Magali, 39 ans, d’origine indienne, Violaine, 37 ans, d’origine coréenne, et Christelle, 31 ans – et bientôt dix petits-enfants.
« Avec Territoires zéro chômeur de longue durée, je n’ai rien inventé, je n’ai fait que suivre ma ligne de résistance, résume-t-il, je suis contre la sélection, on recrute d’abord et on voit après ». Patrick Valentin répète que « le chômage n’est pas un problème économique mais éthique, la conséquence des égoïsmes ». D’autres pensent différemment. Lui poursuit sa route. « Je suis têtu », dit-il.
Véronique Soulé
(1) Voir sur www.revuequartmonde.org
Photo : Patrick Valentin chez lui le 16 janvier 2016 (F. Phliponeau)