
Paroles de parents et d’enseignants
Jeanne, mère de cinq enfants
«On catalogue trop vite les enfants»
«Mon fils se débrouillait pas mal au collège, mais il était très turbulent. Il a laissé un mauvais souvenir aux professeurs. Lorsque ses deux sœurs sont arrivées après lui, ils ont dit à chacune : «On sait à quoi s’attendre avec toi : on n’arrivera à rien, comme avec ton frère !» J’ai dit aux professeurs : «Il ne faut pas cataloguer mes enfants comme ça !» Ils m’ont répondu : «On sait bien que les chiens ne font pas des chats.» Mes deux filles voulaient aller jusqu’au bac, mais elles n’ont pas pu. Moi qui n’ai jamais réussi à l’école, je voulais que mes enfants aillent le plus loin possible. Quand ma troisième fille est arrivée au collège, elle ne portait pas le même nom de famille car je m’étais mariée entre temps. Les professeurs n’avaient pas prêté attention à ses frères et soeurs. Elle, elle a eu son bac et est maintenant secrétaire en CDI. Mes deux autres filles auraient pu aussi avoir leur bac. Parfois, on catalogue trop vite les enfants à l’école.»
Franck, 3 filles en SEGPA
«Je suis contre les enquêtes sociales»
«J’ai une fille de 12 ans qui va entrer au collège en SEGPA (section d’enseignement général et professionnel adapté) à la rentrée. Elle est très lente, elle comprend moins vite que les autres. On nous convoqués pour savoir si on était OK pour l’orientation. Le psychologue l’a vue. Une assistante sociale est venue chez nous faire une enquête. J’ai eu déjà deux autres filles avant en SEGPA. Mais jamais je n’avais vu d’assistantes sociales. On m’a expliqué que c’était obligatoire. Et j’ai appris que pour elles aussi, il y avait eu des rapports de faits mais je ne les ai jamais vus. Je suis d’accord pour que ma fille aille en SEGPA si c’est dans son intérêt. Mais je suis contre la façon de faire des académies qui rendent obligatoire ces rapports. On est paniqué quand on voit arriver une assistante sociale, on pense au côté répressif.»
Véronique Bavière, directrice d’école à Paris
«Aider les plus en difficultés profite à tous»
«Dans notre école de la rue d’Oran (18e arrondissement) qui abrite de multiples nationalités et majoritairement des familles défavorisées, nous pratiquons le co-enseignement, c’est-à-dire que les professeurs travaillent à deux dans la classe. Concrètement, nous sommes classés en «REP plus» (les établissements de l’éducation prioritaire qui cumulent le plus de difficultés) et nous avons un maître supplémentaire dans l’école. Durant quatre semaines, il va dans une classe où ils vont être alors deux à enseigner. Ils préparent un projet en amont, mettent au point les séances… Puis ils analysent ensemble ce qui s’est passé dans la classe pour ajuster leur enseignement au plus près des besoins des élèves. Le dernier projet mené, par exemple, a été un carnet de voyage servant de support à la production d’écrits dans une classe de CP-CE1. A la fin, les deux professeurs rendent compte à toute l’équipe qui profite ainsi de leur expérience. D’après nous, le co-enseignement devrait se généraliser. Cela permet d’adapter notre pédagogie aux élèves qui rencontrent le plus de difficultés et par là même, cela profite à tout le monde.»
Émilie Jarno et Raphaëlle Guillaume, institutrices dans le Morbihan
« On valorise chaque enfant »
« En faisant passer des tests en septembre 2012, on a été surpris devant la faiblesse des résultats de nos élèves. Ici nous sommes dans un milieu rural avec peu d’ouverture culturelle. Raphaëlle, qui est spécialisée dans le suivi des élèves en difficultés, avait eu une formation sur les intelligences multiples. Nous avons décidé de nous lancer, avec les quatre écoles de notre réseau. Une demi-journée par semaine, nous sommes à deux dans la classe. Par exemple lorsqu’on travaille la grammaire dans l’atelier d’intelligence musicale, les enfants inventent une chanson autour de la nature et de la fonction des mots… Les élèves deviennent acteurs. Ils travaillent par deux ou trois, apprennent l’autonomie, s’impliquent davantage. Il n’y a pas que les compétences scolaires, il y a aussi le savoir-être. Chaque enfant est valorisé, il retrouve le plaisir d’apprendre. On met en avant la coopération et l’adaptation. Raphaëlle ne sort plus les élèves en difficultés de la classe, ce qui était stigmatisant. On avance alors tous ensemble.
Photo : dans l’école de Saint-Malo-des-trois-fontaines dans le Morbihan, où l’on met en oeuvre la pédagogie des intelligences multiples (photo DR)