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Le Festival « La pauvreté sans clichés » récompense Rosie Davis et Les Invisibles

Pour sa quatrième édition, le Festival de cinéma « La pauvreté sans clichés » a récompensé le 6 décembre Rosie Davis, un film irlandais de Paddy Breathnach, et a décerné un prix spécial à son parrain, le réalisateur des Invisibles, Louis-Julien Petit. Tous deux ont pu dialoguer avec le public et les membres du jury.

Pendant deux jours, les 6 et 7 décembre, les clichés sur la pauvreté ont eu la vie dure au cinéma Le Méliès,  à Montreuil. Le public a en effet pu découvrir ou redécouvrir six films et documentaires « qui traitent les thématiques sociales de manière juste, originale parfois, qui peuvent aussi prêter à discussion », selon les mots d’Isabelle Bouyer, membre de la délégation nationale d’ATD Quart Monde, lors de l’ouverture du festival.

Une partie des 6 jurys venus de Bordeaux, Lille, Limoges, Lyon, Marseille et Nancy, étaient présents à Montreuil pour récompenser le lauréat de cette édition : Rosie Davis et son réalisateur, Paddy Breathnach, arrivé de Dublin, en Irlande. Les membres du jury, des personnes en situation de précarité ou ayant connue la précarité, mais aussi des alliés du Mouvement, « se sont reconnus dans ce film, dans le courage et la dignité de Rosie Davis et de sa famille », a souligné Isabelle Bouyer.

Un regard loin de tout misérabilisme

Le prix, une sculpture de l’artiste montreuilloise Béatrice Escoffier, lui a été remis par deux militantes Quart Monde, Dalila Gherbi et Émilienne Nobel. « C’est un peu notre parcours de vie. Dans ce film, je me suis reconnue. On s’est senti très proche de Rosie Davis. Le fait de montrer que l’on fait tout ce qu’on peut pour qu’on ne nous enlève pas nos enfants, rien que pour ça je vous remercie, parce que c’est vraiment très beau, très bien fait. J’avais l’impression d’être dans le film avec cette maman », a indiqué Émilienne.

« Ce film est toujours d’actualité. Chaque jour, il y a des gens qui sont dehors, qui ont des parcours de vie accidentés. Mais on ressent beaucoup d’amour aussi dans ce film », a ajouté Dalila. « Il parle de la difficulté de tenir jusqu’au jour suivant, de la capacité à garder la foi dans le jour suivant », a expliqué le réalisateur, Paddy Breathnach.

Le parrain du festival, Louis-Julien Petit a été récompensé par un prix spécial, pour son film Les invisibles. Il a tenu à recevoir ce prix, un tableau de l’artiste Cab, main dans la main avec l’actrice Marianne Garcia, qui joue Lady Di dans le film. « Rarement un film aura correspondu autant aux valeurs que nous portons, de dignité et de partage, de combat aussi pour une société plus humaine et plus juste. Vous portez un regard loin de tout misérabilisme sur des personnes en grande précarité, aux parcours accidentés, aux conditions de vie très difficiles. Ce film nous a profondément touché », a rappelé Isabelle Bouyer. Louis-Julien Petit a pour sa part tenu à saluer toutes les « combattantes » représentées dans Les Invisibles.

Représentation de la pauvreté au cinéma

La remise des prix était ensuite suivie d’un débat sur la représentation de la pauvreté au cinéma. « Dans les films, la pauvreté est souvent incarnée comme un statut, il y a l’avocat, le médecin, d’autres personnages et… le clochard. Ce personnage n’a pas forcément d’identité, de prénom. Je voulais me mettre à la hauteur de ces femmes pour voir ce qui a de meilleur et de plus beau en elles », a détaillé Louis-Julien Petit.

Face au courage incarné par les personnages des Invisibles et de Rosie Davis notamment, les membres du jury se sont interrogés sur leur propre force. « Ma chance, c’est mon envie de me lever tous les matins et de réveiller mes enfants, de me regarder dans un miroir et de me dire que je suis vivante, forte », a raconté Émilienne Nobel, se souvenant d’un « petit miroir cassé » qu’elle avait il y a quelques années. « On se regardait dedans avec mes enfants et on disait que chaque morceau, c’était un bout de notre vie et que, tant que tous les morceaux restaient soudés, malgré la difficulté, on serait fort. » Pour Marianne Garcia, « on a beau être pauvre, à la rue, on a tous un don, un petit quelque chose ».

Cette édition du Festival « La pauvreté sans clichés » a également permis au public de rencontrer Marie Frapin, réalisatrice de Cyrano et la petite valise, l’un des quatre films en compétition, et avec Jérémy Gravayat, réalisateur de A Lua Platz. Jurés, spectateurs, acteurs et réalisateurs sont tous repartis avec l’ambition de continuer à changer le regard de la société sur la pauvreté et à faire entendre la parole de tous les « invisibles ».

 

« Les films peuvent entraîner une évolution du langage et des représentations »

Lauréat du Festival de cinéma « La pauvreté sans clichés » pour son film Rosie Davis, le réalisateur Paddy Breathnach dévoile les origines de son film et décrit sa vision de la représentation de la précarité au cinéma.

Que représente ce prix pour vous ?

C’est un réel honneur d’avoir la reconnaissance de personnes ayant l’expérience de la précarité. Cela veut dire que le film est pertinent, qu’il a un impact sur les personnes qui comprennent ces situations. Je suis très reconnaissant et très content. Éviter les stéréotypes était dans nos esprits quand on a fait le film. Nous étions conscients du fait qu’il ne fallait pas laisser le public trouver un moyen facile de dire « ils sont pauvres parce qu’ils fument, ils boivent, ou ils parlent mal ». J’ai par exemple montré une première version de Rosie Davis au compositeur de la musique du film. Quand il a vu la scène où Rosie sort de la voiture et va ouvrir le coffre pour prendre des vêtements pour les enfants, il m’a dit qu’il s’attendait à ce qu’elle sorte de la drogue de la voiture pour en consommer… Il était content que ce ne soit pas le cas, mais ce sont des clichés qu’on voit trop souvent, surtout dans le cinéma américain, où la pauvreté est montrée comme un manque de détermination de la personne, sans aucune référence au contexte économique ou social.

Dans le film, le passage où l’on découvre que Rosie a été violée par son père est très important. Ce n’est pas la raison pour laquelle elle se trouve dans cette situation, mais le sentiment de honte qu’elle a ressenti étant enfant, elle voit que  ses enfants le ressentent à l’école et c’est un cauchemar pour elle. C’est un moyen de discuter du sentiment de honte, d’impuissance, de ne pas être capable d’avoir prise sur une situation à cause de sa complexité. Ce qui m’intéresse, ce sont les vies de ces personnages, leurs réactions. Je veux montrer que chaque détail de la vie devient parfois un combat, une angoisse permanente et la vie quotidienne devient alors un champ de bataille.

Comment est née l’histoire de Rosie Davis ?

J’ai travaillé avec un scénariste, Roddy Doyle. Il a entendu à la radio le témoignage d’une femme qui disait qu’elle n’avait plus de logement et devait chercher tous les jours un endroit pour la nuit suivante. Cela lui prenait tout son temps, si bien qu’elle ne pouvait pas trouver de logement. Elle précisait que son mari ne pouvait pas l’aider, parce qu’il travaillait et c’est ça qui était nouveau pour Roddy Doyle et a qui a déclenché tout le processus. C’était nouveau pour lui, des personnes qui travaillent et qui se retrouvent dans cette situation.

Ce sujet est très présent en Irlande et revient fréquemment dans les journaux ces dernières années. C’est un vrai problème national. Mais pour moi, quand j’ai lu le scénario, ce qui m’intéressait surtout c’était de montrer comment une personne dans cette situation peut garder l’espoir, avec cette pression constante, comment elle continue de se lever chaque matin d’avancer. Je voulais parler de la résilience et de ses limites.

La fin du film est assez désespérée, ne souhaitiez-vous pas mettre une lueur d’espoir ?

J’ai pensé que ce ne serait pas exact de donner de l’espoir, mais je ne trouve pas que ce soit désespéré. La première fois que nous voyons Rosie dans le film, nous l’apercevons derrière la vitre de la voiture. Nous ne la revoyons pas ainsi jusqu’à la toute dernière image. Elle regarde par la fenêtre et son combat est désormais de protéger sa famille et de faire en sorte qu’elle reste unie. C’est une combattante. Peut-être que tout va aller mieux le lendemain, qui sait ce qui peut arriver ? Elle sait désormais pourquoi elle se bat.  Elle n’a plus le confort et la sécurité, mais elle a pris conscience que ses craintes peuvent devenir réalité. La fin est une question ouverte. Elle regarde un avenir noir, flou, mais elle ne sait pas ce qu’il peut se passer.

Un film peut-il, selon vous, changer le regard du public sur la pauvreté ?

En soi, je ne pense pas que les films créent un changement instantané. Mais je pense que les films, ou la littérature, ou toute forme d’art, peuvent aider à construire la culture, et la culture peut changer le monde. Ce sont des bases sur lesquelles les gens s’appuient et qui peuvent faire évoluer leurs représentations. Il peut donc y avoir un changement lent, progressif. Les films peuvent entraîner aussi une évolution du langage. Cela peut aider à voir la différence entre parler d’ « un sans-domicile-fixe » et parler d’ « une personne qui n’a pas de domicile fixe », qui est une vraie différence. Cela peut enrichir le débat. Mais tout cela est très lent. Propos recueillis par Julie Clair-Robelet et Véronique Soulé

 

Photos : Festival du film « La pauvreté sans clichés » le 6 décembre au cinéma Le Méliès à Montreuil. © Carmen Martos, ATD Quart Monde