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La rapporteure de l’ONU sur le logement dénonce de nombreuses violations du droit

En visite en France du 2 au 11 avril, la rapporteure spéciale des Nations Unies sur le logement convenable, Leilani Farah, constate « l’échec de l’État » dans la lutte contre le sans-abrisme. Elle pointe également l’absence de prise en compte de la parole et de l’expérience des plus pauvres pour lutter contre les expulsions forcées ou améliorer l’offre d’hébergement.

 

 

« C’est une des missions les plus chargées émotionnellement que j’ai été amenée à faire au cours de mon mandat », affirme la rapporteure spéciale des Nations Unies, lors d’une conférence de presse le 12 avril. A l’issue d’un voyage de dix jours en France, au cours duquel elle est allée notamment en banlieue parisienne, à Calais, à Marseille et à Toulouse, elle dresse un constat assez sévère de la situation du logement : « Je suis dans un pays d’abondance, la sixième économie mondiale, et pourtant j’ai pu voir des souffrances, de la misère. Beaucoup de résidents ont pleuré avec moi. J’ai eu le sentiment que j’étais peut-être la première personne à les écouter vraiment. » Son rapport final sera présenté au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU en mars 2020.

Violation grave du droit à un logement décent

Leilani Farah se dit tout d’abord « très préoccupée » par le sans-abrisme, qu’elle qualifie de « violation grave du droit à un logement décent ». Elle estime que l’augmentation du nombre de personnes sans-abri représente « l’échec de l’État à mettre en œuvre le droit au logement ». Pour la rapporteure spéciale, chaque personne devrait « bénéficier d’une aide pour disposer d’un logement pérenne ». Et si elle constate « un intérêt du gouvernement français » pour cette question, elle s’inquiète cependant de son approche : « fournir des services d’urgence, qui ne sont d’ailleurs pas de grande qualité, sans réfléchir à un logement à long terme ».

Les failles du 115, « ligne téléphonique ouverte 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 et connue de tous », sont également mises en avant. Ayant testé elle-même ce numéro, elle a pu constater que le service était trop souvent débordé. « Quand j’ai enfin réussi à avoir quelqu’un, on m’a mise en attente pendant deux heures. Puis, si on a de la chance, on obtient un espace, pas forcément un lit, pendant 24 heures, parfois quelques jours. Mais ensuite, il faut tout recommencer. » Leilani Farah a également pu rencontrer, au cours de ses visites, des familles logées à l’hôtel. « Ce sont des situations à court terme, et pourtant certaines y vivent depuis des années. Cela ne respecte pas du tout les droits de l’Homme et le droit au logement. Il n’y a pas de lieux où cuisiner, les salles de bain sont partagées, il n’y a pas de lieux pour jouer, ce n’est pas une vie digne », dénonce-t-elle. La rapporteure spéciale recommande donc au gouvernement de « s’éloigner de ce système de mise à l’abri d’urgence et de trouver des solutions pérennes ».

Moratoire sur les expulsions

Elle préconise par ailleurs un « moratoire » sur toutes les expulsions forcées, après avoir visité un squat « épouvantable » à Toulouse, où 300 personnes sont entassées dans d’anciens bureaux. « C’est une des visites les plus difficiles que j’ai effectuée. C’est très dur de voir cela dans un pays développé, riche. » Cette communauté doit être expulsée, car le bâtiment va être racheté et « il n’y a aucune intervention de la ville pour trouver une solution », regrette Leilani Farah. A Calais, elle a également rencontré « de nombreuses personnes qui vivent des expulsions toutes les 48 heures. Cela relève de traitement cruels, inhumains et dégradants ».

Si elle salue la loi Dalo (droit au logement opposable) de mars 2007, qu’elle qualifie de « modèle pour le monde entier », elle pointe « un système qui ne fonctionne pas aussi efficacement qu’il le devrait ». « Même si la France dispose d’un stock de logements sociaux, ils ne sont pas assez nombreux et restent inaccessibles à ceux qui en ont le plus besoin. Cela m’a rendu un peu folle d’apprendre qu’en France, les personnes aux plus bas revenus ne peuvent pas se permettre de se payer un logement social. »

« Réduire au silence »

Au cours de ses dix jours de visite, Leilani Farah a également été très touchée par la manière dont les populations les plus marginalisées et les plus pauvres sont traitées en France. « On ne les écoute pas. Le sentiment général est que, si vous êtes pauvres, vous ne savez pas vraiment ce dont vous avez besoin. C’est absolument faux. J’ai parlé avec les populations les plus pauvres et je suis frappée par les idées et les solutions qu’elles proposent. » Elle donne notamment l’exemple de migrants vivant à Calais. « Ils ne veulent pas se rendre dans les centres de transit. Certains m’ont dit qu’ils souhaitaient simplement voir les côtes du Royaume-Uni. Il faut écouter ce que les gens ont à dire. La réponse des autorités est:  ‘Ces gens ont fait des milliers de kilomètres à pieds, en bateau… Quelle différence cela peut-il leur faire d’être à 75 ou à 150 km de Calais.’ C’est vraiment les réduire au silence, effacer complètement leur expérience ».

ATD Quart Monde a eu l’occasion de rencontrer Leilani Farah, avec d’autres associations, début avril. Le Mouvement a ainsi rappelé la nécessité de mettre fin aux expulsions sans relogement, tout comme aux évacuations sans solutions de bidonvilles, comme le prévoit la loi. Pour ATD Quart Monde, seule une refonte structurelle du fonctionnement du logement social sera en mesure de faire sensiblement progresser le droit au logement pour tous. Cette refonte doit s’appuyer sur un principe simple : l’accès au logement ne doit être soumis à aucun critère de ressources.

Julie Clair-Robelet

Photo :  Un bidonville à Paris, pont des Poissonniers en mars 2017. André Feigeles/ Wikimedia