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« Je suis médecin, la coformation m’a donné plein de billes pour ma pratique »

Magali Droumenq, 37 ans, médecin en prison, a participé à une coformation avec des gens du voyage sur le thème de la santé. Au moment où ATD Quart Monde sort un DVD sur le Croisement des savoirs, elle a accepté de raconter cette expérience en 2009 à Chambéry (Savoie). Elle témoigne avec enthousiasme de la façon dont cette rencontre a enrichi sa pratique.

 

« L’idée était pour moi de mieux comprendre le fonctionnement des gens du voyage. A l’époque, je travaillais aux urgences à l’hôpital ainsi qu’en milieu pénitentiaire – je ne fais plus que cela aujourd’hui. Comme beaucoup de mes confrères, j’avais connu des histoires difficiles avec les gens du voyage.

Dire ses représentations de l’autre

Pour cette raison, j’allais à cette coformation proposée par ATD Quart Monde avec certaines appréhensions. En même temps, j’avais envie de découvrir, j’étais curieuse… En fait, cela a été extraordinaire.

Chacun – les gens du voyage comme les personnels de santé participant à cette formation – a pu dire les représentations qu’il avait de l’autre et exprimer tout ce qu’il pensait. On y est arrivé grâce à des techniques remarquables comme le photo langage.

On imaginait que les gens du voyage avaient une représentation négative du monde médical. Or ce n’était pas ça du tout. On a pu mesurer qu’il y avait une mauvaise compréhension des attentes de chacun.

Une notion du temps très différente

Ce que j’ai appris ? D’abord que la question du temps se pose très différemment pour les gens du voyage et pour nous. Pour eux, attendre deux ou trois heures les résultats du bilan médical de quelqu’un amené aux urgences, c’est très lent. C’est même insupportable. Ils ont un imaginaire important. Ils croient qu’on veut leur cacher quelque chose.

J’ai aussi compris que lorsqu’ ils venaient nombreux à l’hôpital, cela ne devait pas être interprété comme une agression, comme un manque de confiance ou comme une volonté de faire pression. C’est un réflexe communautaire. Plus l’attente est longue, plus la personne a besoin de soutien. Et le soutien ne peut pas s’exprimer au téléphone, ce doit être une présence physique.

J’ai découvert aussi ce que la maladie représentait pour eux : l’arrêt du voyage. Ils pensent aussi tout de suite à la mort, beaucoup plus vite que nous. Même pour une petite blessure, alors que cela ne nous viendrait même pas à l’esprit.

Répéter  « vous n’allez pas mourir »

Comme médecin, j’ai compris que face à cette angoisse, il fallait réagir différemment qu’avec les autres patients, qu’il fallait venir dire régulièrement que tout allait bien. Y compris pour une petite chose, il ne faut pas hésiter à dire : « vous n’allez pas mourir »…

C’est ce que je fais désormais. Dès que je vois apparaître de l’anxiété, pour qu’elle ne grimpe pas, je tente et je vois que ça marche.

En raison de cette notion particulière du temps, il y a une nécessité de rassurer souvent. Voilà ce que j’ai changé dans ma pratique, à l’hôpital quand j’étais aux urgences et aujourd’hui en prison quand j’ai à faire à des gens du voyage.

Une autre chose que j’ai comprise: dans un groupe, il faut repérer la personne qui a l’autorité, généralement une personne âgée et une femme. Il faut discuter avec elle. Puis elle va rassurer les autres.

Des billes pour ma pratique

Je n’aurais jamais cru que cela m’apporterait autant. J’ai découvert des tas de choses. Par exemple, je ne pensais pas avoir de préjugés. Je me suis rendu compte que j’en avais, et beaucoup.

Durant la coformation, pendant les repas, on parlait avec les gens du voyage. J’ai appris beaucoup sur leur façon de vivre et sur leur culture. Cela facilite les relations. Maintenant quand je vois des gens du voyage, je vais vers eux. Comme ils comprennent que je sais des choses et que je m’intéresse à eux, la confiance s’installe vite.

C’est une vraie formation, ce dont je ne me rendais pas compte au départ. Cela m’a donné plein de billes pour ma pratique dont je me sers toujours aujourd’hui. »

Recueilli par Véronique Soulé