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Les visages d’ATD Quart Monde – Jacqueline Steg : « à ATD Quart Monde, on est tous égaux, tous de la même famille »

Jacqueline Steg a fait partie de la délégation (1) reçue par le président François Hollande le 16 février dernier. « Avoir osé parler au nom des autres » la remplit de fierté encore aujourd’hui.

Pour l’interview, Jacqueline Steg a préféré donner rendez-vous à la maison Quart Monde de Reims. « Chez moi, il y a trop de va-et-vients, on serait tout le temps dérangés », avait-elle prévenu. Bien que ses trois aînés aient quitté la maison, ils ont toujours les clés. Alors ils passent pour un oui pour un non, souvent avec les petits-enfants. Il y a aussi les cousins et cousines, les neveux et nièce. Elle est en plus très sollicitée parce qu’elle a une voiture – « ma deuxième maison »… « Finalement je ne suis au calme que quand je suis dans ma baignoire, explique Jacqueline. Là je prends mon temps, et personne ne peut venir me déranger. »

«Jeune, j’étais hargneuse »

Exubérante et déterminée, Jacqueline Steg, 48 ans, est une forte personnalité. Emotive, elle peut être au bord des larmes lorsqu’elle évoque son fils embarqué une nuit en slip en garde à vue de façon parfaitement injuste, ou encore son petit-fils emporté par une méningite à un an. On la retrouve, une minute après, combative, pour décrire le jour où des habitants soûls ont tiré sur les caravanes ou comment elle tenait tête face à ceux qui raillaient les « mamanes » (terme péjoratif pour désigner les manouches »), « les voleurs de poules »… « Jeune, j’étais hargneuse », dit-elle.

Sur le terrain où ses parents, manouches, occupaient une caravane, Jacqueline Steg participait, gamine, aux bibliothèques de rue d’ATD Quart Monde. Lorsque les bénévoles organisaient des sorties ou des activités sportives, les enfants Steg étaient de la partie. Et les parents tenaient un stand à la fête des Savoirs. Jacqueline garde de cette époque un souvenir émerveillé. Elle parle aujourd’hui d’ATD Quart Monde comme d’ « une grande famille où on est tous à égalité et du même monde », « une chaîne où on est tous là pour s’épauler, pour dire à ceux qui se désolent qu’on ne baisse pas les bras… »

Muguet et jonquilles

De santé fragile enfant, Jacqueline a été très tôt confiée à une tante. « On proposait des logements pour mélanger les gens du voyage avec les autres. Ma tante a accepté car sinon j’aurais dû être placée dans un centre. » Elle grandit avec deux mamans, celle qui l’élève et l’emmène à l’école, femme de ménage dans une usine, et sa mère biologique qu’elle voit régulièrement sur le terrain. « Par respect pour elle, j’appelais ma tante « marraine » mais sans elle, je serais peut-être au cimetière. »

Jacqueline rêvait de devenir puéricultrice. « Malheureusement, vers 14-15 ans, mon père a dit : les études ça suffit, il va falloir travailler. » Elle lâche l’école pour « la chine » ; Elle fait du porte à porte, vendant aux beaux jours du muguet et des jonquilles, et l’hiver, des balais et des serpillères en coco. « On avait parfois de bons délires, et de marcher, ça faisait les cuisses », se souvient-elle.

Jeune fille, elle décide de n’en faire qu’à sa tête et s’amourache d’un gadjo, Roupane (2), qui a grandi dans les quartiers pauvres bordant le terrain des manouches. « Il connaît bien la façon de vivre des gens du voyage, mais il reste un gadjo », résume-t-elle. Ils vivent ensemble depuis 30 ans. Roupane, qui n’aimait pas l’école, est un travailleur. Dans l’usine où il a été grutier puis pontier (conducteur d’un pont roulant), il est passé « pupitreur » et s’occupe des alarmes de la chaufferie.

« Une personne fière de ses enfants »

« Avant on se contentait de peu, on faisait une fête sur le terrain sans les grosses sonos, aujourd’hui les enfants ne sont jamais contents, on a beau se dénaturer, se couper en dix », déplore Jacqueline, « et pourtant je suis une personne fière de ses enfants. »

Elle est très proche de son aînée, Angélique, 30 ans en septembre, la seule fille de la fratrie. « A chaque fois que je vais à des réunions avec ATD Quart Monde, elle me demande après comment c’était. Elle, elle a trois enfants à s’occuper. » Puis il y a Teddy, 28 ans, qui va être embauché à l’usine de son père comme pontier, et Kevin, 26 ans, qui est conducteur d’engins. « Depuis qu’ils ont 4-5 ans, il les emmène sur la grue », précise-t-elle.

Seul Rudy, 18 ans, vit encore à la maison. En lycée pro, il voulait la filière Informatique. On l’a mis en Imprimerie. Il n’a pas aimé et il n’a rien fait. On lui a alors proposé Electronique – « il n’y avait pas de place en informatique, c’était le plus proche », précise sa mère. Mais il est allé à ses examens sans entrain et Jacqueline prédit qu’il va les rater.

« Des anciens ont toqué à ma porte »

Pour les élever, Jacqueline a cessé un temps de militer à ATD Quart Monde. « Un jour des anciens sont venus toquer à ma porte. Et j’ai repris, dans les années 1996-1997 ». Depuis, Jacqueline est une assidue des réunions du mardi soir et des Universités populaires Quart Monde. Une fois par an environ, elle monte quatre jours à Paris pour participer à des « croisements des savoirs » (3). « J’appelle mon fils trois fois par jour pour vérifier si son père a pris les médicaments, s’il a bien dormi… »

Jacqueline est « à l’affût d’apprendre » avec ATD Quart Monde, même si elle reconnaît parfois « des blocages » face à des sujets qui n’accrochent pas. Elle se félicite d’avoir déjà beaucoup appris, comme quand elle a aidé sa fille pour son dossier de relogement. « Je suis allée voir la personne qui s’en occupait et je lui ai parlé de la loi DALO. Elle m’a dit : « d’où vous sortez ça ? » Je lui ai répondu : « vous ne connaissez pas ATD Quart Monde, chère madame ? » Je suis repartie fière de moi, j’avais le sourire ».

La rencontre avec François Hollande aussi l’a remplie de fierté. « Quand je suis entrée, je me suis dit : « là, il faut que tu défendes ta cause ». Et pourtant nous, comment on parle… On a pourtant réussi grâce à nos militants de Reims qui nous ont préparés. J’ai osé parler car je savais qu’on était là pour les autres. »

Véronique Soulé

(1) Il y avait aussi Isabelle Bouyer, Guillaume Chesnot, Chantal Consolini, Vincent Espejo-Lucas, Pascal Lallement, Pierre-Yves Madignier, Doris Mary, Pascal Moullec, Véronique Painset et Colette Théron.
(2) Petit, il ne voulait porter que des « roupanes », des grandes blouses. D’où son prénom.
(3) Démarche de formation qui s’appuie sur le savoir de vie des personnes en précarité, le savoir scientifique des universitaires et le savoir d’action des professionnels de l’intervention sociale.

Photo : Jacqueline Steg, militante de Reims, le 16 février 2015 à la sortie de l’Elysée (F. Phliponeau)