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Elles/ils disent ce qui pour eux fait la force d’ATD Quart Monde

A l’occasion de cette année riche en anniversaires, ATD Quart Monde a décidé de relancer son action contre la misère. Pour comprendre ce qui le fait avancer encore aujourd’hui, le Journal est allé interroger des membres et des amis du Mouvement.

Les soixante ans d’ATD Quart Monde, les cinquante ans de sa branche enfants Tapori, le centenaire de la naissance de son fondateur Joseph Wresinski et les trente ans de la Journée de lutte contre la misère : plutôt que se complaire dans les commémorations, le Mouvement a choisi de faire de 2017 une année de mobilisations afin de relancer le combat pour les droits des plus pauvres et d’obtenir de nouvelles victoires.
ATD Quart Monde a joué un rôle clé dans plusieurs grandes avancées, comme le RMI (revenu minimum d’insertion), ancêtre du RSA, ou la CMU (couverture maladie universelle). Plus récemment, il a fait inscrire dans la loi la discrimination pour précarité sociale et avec l’expérimentation Territoires Zéro chômeur de longue durée, il a bousculé la façon de traiter le chômage. Mais aujourd’hui, ce sont de nouveaux droits qu’il faut conquérir, notamment pour les jeunes les plus vulnérables trop souvent condamnés à la précarité.
A l’aube de cette année particulière, le Journal a choisi de s’arrêter sur les ressorts profonds du Mouvement et sur ce qui en fait sa force. Il a interrogé une quinzaine de personnes de tous horizons, jeunes et moins jeunes, membres ou pas du Mouvement mais l’ayant côtoyé un jour.

Sylvie Deleu, militante Quart Monde à Noisy-le-Grand
 » ATD Quart Monde me fait confiance. J’ai apporté ma contribution au séminaire et au livre sur les enfants placés. On m’a demandé d’aider une personne en difficulté avec l’alcool. Un souvenir génial : la fierté de chanter devant des centaines de personnes et surtout devant mes enfants et mon compagnon.  »

Nicolas Hulot, président et fondateur de la Fondation Nicolas Hulot
 » Je me rappelle nettement du 29 février 2016, date à laquelle le projet de loi qui autorise l’expérimentation des Territoires zéro chômeur de longue durée a été voté à l’unanimité à l’Assemblée Nationale. Ce jour-là, le soleil perçait à travers les nuages et une évidence s’imposait enfin au corps politique dans son ensemble : le chômage longue durée n’est pas une fatalité et il existe mille manières de le combattre. Si nous osons expérimenter, si nous osons changer de prisme, si nous osons dépasser les préjugés. Si nous décidons de construire une société, et les lois qui la régissent, pour tous et avec tous. Sans jamais oublier d’y associer ceux qui n’ont pas de voix dans les cénacles du pouvoir.
Cette graine semée par ATD Quart Monde est en train de porter ses fruits et elle a mille vertus : en premier lieu, celle de redonner espoir dans un avenir meilleur.  »

Charline Vanhoenecker, chroniqueuse à France Inter
 » Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! Je pousse un cri, car c’est aujourd’hui le seul moyen de se faire entendre. Et ATD Quart Monde reste aussi discrète que la pauvreté demeure invisible. Cette discrétion est le reflet de l’humilité avec laquelle ATD abat un travail rigoureux, qui permet de frapper fort quand elle s’exprime. Frapper fort sur nos consciences en sommeil. Frapper fort contre les arguments tronqués des extrémistes. Jamais je n’aurais cru voir éclore ce néologisme : « la pauvrophobie ». Alors soyons de plus en plus nombreux à soutenir le Sisyphe d’ATD pour que sa pierre ne retombe pas, car dans sa chute elle emporterait l’humanité. L’union fait la force ! « 

Guillaume Amorotti, volontaire permanent à ATD Quart Monde
 » A Madagascar, on faisait des bibliothèques de rue sur la décharge. Après le travail de récupération, il y avait un rituel : on trimballait de l’eau dans des bidons et les enfants faisaient la queue pour se laver les mains. Puis ils manipulaient les livres avec délicatesse, de beaux livres. ATD c’est d’abord la culture du beau. Ce n’est pas parce que tu es pauvre que tu n’y as pas droit.  »

Charles Berling, comédien, directeur du Théâtre  » Le Liberté  » à Toulon
 » Considérer que l’on est tous des êtres culturels, capables d’accéder à la culture, c’est ce qui m’intéresse dans la pensée d’ATD Quart Monde. Je dirige un théâtre ouvert à tous. Ce n’est pas un lieu de luxe ni réservé à une élite intellectuelle. L’accès à la culture est un droit au même titre que le droit au logement. Chacun devrait aussi pouvoir oser prendre la parole, devenir  » acteur  » de sa vie, prendre part à une société qui le concerne. Cela peut passer par des expressions artistiques. « 

Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’Education nationale
 » L’école s’est éloignée des parents les plus pauvres. Marie-Aleth Grard (vice-présidente d’ATD Quart Monde) a fait venir au Conseil économique, social et environnemental des citoyens et citoyennes en situation de pauvreté qui se sont exprimés. Cela a remué et transformé l’approche des membres du Conseil. J’en ai moi-même grandement profité. Le temps n’est pas à la charité mais à la solidarité et à l’égalité des droits. Comment ces gens vont-ils continuer d’accepter de ne pas avoir les mêmes droits alors qu’ils ont autant de devoirs que les autres ? Avec l’idée de parents solidaires, ATD montre aussi qu’il n’est pas nécessaire d’être pauvre ou de l’avoir été pour se battre contre la pauvreté.  »

Catherine Marsac, militante Quart Monde à Roubaix
 » Ce qui m’intéresse le plus, ce sont les savoirs, les réunions sur des thèmes qu’on ne connaît pas. Je vais à toutes. Les activités, comme chanter, c’est pour la détente.Je fais des co-formations. L’une des premières était sur les tribunaux. Je participe aux Universités populaires. On prépare la prochaine sur le thème  » Tous citoyens, tous politiques « . Il y en a eu aussi sur la Sécu. Il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas et qu’on veut savoir. On a aussi des choses à dire.  »

Michel Serres, philosophe
 » Le père Wresinski insistait sur une chose : qu’on ne s’occupe pas seulement du côté matériel – une aide pour les repas, le logement,… – mais du côté culturel. L’homme ne vit pas seulement de pain, les plus pauvres non plus, ils ont besoin qu’on leur donne la parole. Dans les autres associations, je n’ai pas entendu cette musique-là. C’est prometteur, c’est éternel, c’est l’homme. « 

Gabrielle Erpicum, volontaire permanente d’ATD Quart Monde
 » Novembre 1962… Me remonte à la mémoire ce temps d’échange avec le père Joseph Wresinski sur la force de la solidarité. Puis en 1985, son insistance portera sur l’indispensable passage de la solidarité à la fraternité. Cela ne me quitte pas. Nous sommes solidaires des familles qui, aujourd’hui encore, sont hors tout. Mais l’essentiel je le comprends mieux : cette solidarité doit se muer en fraternité entre tous. Une fraternité qui ne défaille pas, où l’autre est reconnu comme notre égal et a droit à partager le meilleur de ce que nous sommes. La fraternité est une responsabilité commune : ce n’est pas seulement nous qui partageons mais aussi les plus pauvres avec nous, si démunis soient-ils.
Nous travaillons avec des familles polonaises. Elles vivent avec peu de moyens en frontière de l’Ukraine. L’arrivée des réfugiés les bouleverse :  » Nous savons ce qu’est une nuit sans toit, sans chaleur, sans amis qui nous comprennent… » Juste fraternité que celle-là.  »

Nonna Mayer, chercheure (Sciences Po/CNRS)
 » En 2008, ATD Quart Monde m’a contactée pour co-organiser un colloque sur la pensée politique de Joseph Wresinski. C’est ce colloque qui m’a donné envie d’enquêter sur la précarité sociale, puis sur les dispositifs de participation et d’accès à la citoyenneté des pauvres et des exclus.
En 1956, Wresinski promettait aux habitants du bidonville de Noisy-le-Grand de leur faire « monter les marches de l’Élysée, de l’ONU et du Vatican ». Un projet plus que jamais d’actualité.  »

Agnès Naton, secrétaire générale de la CGT Rhône-Alpes
 » A l’instant où à nouveau les personnes précaires, pauvres, et les gens de peu sont stigmatisés, voire humiliés au nom de la lutte contre l’assistanat et du culte de la performance, la pensée et les actes du père Wresinski demeurent fondamentaux pour transformer l’humain et le monde. Sa pensée reste singulière et révolutionnaire en 2017. Elle nous indique qu’il est illusoire de penser le vivre ensemble, une société des semblables, sans faire avec les personnes qui vivent ces situations de précarité, de grande pauvreté. L’ensemble des acteurs de la société ont la grande responsabilité de les considérer comme des citoyennes et citoyens à part entière, de faire à partir d’eux et de ce qu’ils ont à nous apprendre. « 

Sébastien Riodel, salarié de l’entreprise à but d’emplois de Mauléon (Deux-Sèvres)
« ATD Quart Monde, ce sont des projets qui mettent l’humain en avant dans une société où tout est économique, commercial. Avec des expériences comme Territoires Zéro chômeur de longue durée, au lieu de dire que tout va mal, on montre qu’il existe des solutions et qu’on peut allier l’humain. En plus d’avoir un emploi, c’est ce qui me motive pour y participer.  »

Napolitano, dessinateur
 » Je salue le travail des membres d’ATD Quart Monde. Parce que je pourrais perdre mon travail puis mon logement et que les gens qui m’entourent pourraient me fuir de peur de la contagion. Parce qu’on est tous capables de finir à terre, la faute à ce monde qui ne pense pas plus loin que le bout de son nez.  »

Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle
 » Si ATD Quart Monde suscite autant le respect, inspire toujours le mouvement social et bouscule la République, c’est par son humanisme radical. Celui de l’option initiale de Joseph Wresinski : la dignité par le droit, le combat contre l’humiliation et pour la justice. Le courage ensuite de Geneviève de Gaulle Anthonioz qui incarnera ce lien invisible entre la  » traversée de la nuit  » des camps nazis et le  » chemin de l’espérance  » : celui d’un peuple qui se lève. La radicalité enfin de la promesse tenue par les nouvelles générations de militants, de volontaires : vivre autrement, vivre en hommes et en femmes libres, vivre en frères, vivre tout simplement.  »

Bertrand Verfaillie, journaliste
 » Je me souviens d’une phrase d’une militante en Bretagne :  » Je n’ai jamais eu besoin de montrer ce que je n’étais pas.  » Dans beaucoup d’associations, on a tendance à chercher son miroir chez l’autre et les gens essaient de se conformer à ce qu’on leur demande. A ATD, on prend l’autre pour ce qu’il est, en respectant ses différences et son rythme, avec le souci de construire ensemble un pouvoir d’agir. « 

Marion Carrel, maîtresse de conférences à l’Université de Lille
 » Avec l’équipe d’ATD Quart Monde de Montréal, j’ai participé à une évaluation de la recherche EquiSsanté avec des personnes en situation de pauvreté. Dans un colloque scientifique où d’habitude je parle avec des collègues chercheurs, je me suis ainsi retrouvée à parler avec Pierre. On a tous appris dans cet échange.
On a trop longtemps pensé que le chercheur seul pouvait accéder à toute la connaissance. Or il y a un jardin secret, un savoir inaccessible aux chercheurs comme disait Joseph Wresinski, et pourtant indispensable pour comprendre le réel.  »

Raphaël Hervet, volontaire permanent à ATD Quart Monde
 » Faire avec les plus pauvres, en fonction de ce qu’ils pensent, ne pas arriver avec ses idées et vouloir les plaquer… Ce que j’apprécie aussi, c’est la gouvernance horizontale : on ne décide pas d’en haut. Ca se retrouve dans la façon de gérer l’argent. Les volontaires ne reçoivent pas de gros salaires, ne roulent pas dans de grosses voitures climatisées. Les gens sont engagés, les salaires aussi.  »

Muriel Casalaspro, adjointe au maire de Montreuil
 » En février 2015, j’ai participé à une formation par le croisement des savoirs co organisée par ATD Quart Monde avec des élus locaux, des agents de l’Etat et des militants Quart Monde, autour de la participation des habitants les plus  » éloignés « . J’y ai découvert une approche extrêmement riche qui permet à tous les acteurs de faire valoir leurs savoirs, leurs pratiques et leurs solutions, et de dialoguer ensemble. Nous sommes trop souvent dans des logiques descendantes où quelques-uns décident pour le plus grand nombre au nom de ce qui serait  » bon « . »

Cyprien Vial, cinéaste
 » Alors que la peur de l’autre et le repli sur soi gagnent du terrain, la philosophie d’ATD Quart Monde nous rappelle que l’écoute attentive et l’union font la force. Chacun, à son échelle, peut faire avancer le collectif par des actions concrètes, ciblées et adaptées, impliquant autant celui dans le besoin que celui qui l’est moins. ATD n’oublie pas non plus que la culture est un terrain d’échanges très fort pour se construire ensemble !  »

Photo : Nicolas Hulot lors de la marche pour le climat le 21 septembre 2014 à Paris (Sébastien Duhamel)