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Couverture maladie universelle : ATD Quart Monde en première ligne depuis 20 ans

Instaurée par la loi du 27 juillet 1999, la Couverture maladie universelle fête cette année ses 20 ans d’existence. Initié par ATD Quart Monde, ce dispositif doit permettre l’accès de tous aux soins, mais connaît certains freins.

Huguette Boissonnat Pelsy, responsable du département santé d’ATD Quart Monde, retrace l’histoire de la CMU et décrit les évolutions attendues dans les prochains mois, avec l’instauration de la « complémentaire santé solidaire ».

Dans quel contexte la CMU a-t-elle été créée il y a 20 ans ?

Dans les années 1980, une partie de la population française n’avait pas de sécurité sociale, car son accès était lié au travail ou au statut d’ayant droit d’une personne qui travaillait. S’il n’y avait pas de salarié dans la famille, personne n’avait donc de sécurité sociale. Les bons d’aide médicale ou d’aide hospitalière gratuits étaient distribués par les mairies, des feuilles jaunes qu’on donnait avec parcimonie. Ces feuilles jaunes représentaient souvent un marqueur social, une humiliation et les malades arrivaient avec la tête baissée dans les cabinets médicaux.

À cette époque, de 1977 à 1982, ATD Quart Monde a mené une expérimentation au sein d’un cabinet médical créé dans un quartier défavorisé de la banlieue de Nancy, à Tomblaine. Le Mouvement travaillait, avec les militants, sur l’idée que la santé passe d’abord par la dignité et pas seulement par l’accès aux soins. Avec l’État, le département de Meurthe-et-Moselle et la sécurité sociale, ATD Quart Monde a alors développé une expérimentation : le Fonds d’action santé, ciblant les enfants d’un quartier en déshérence sanitaire à Lunéville, ainsi que 50 familles amenées par les militants Quart-Monde à Nancy. Les soins des yeux, des dents et des oreilles, soins dit coûteux, ont été pris en charge totalement ainsi que les soins de ville et hospitaliers.

Forts de cette expérimentation qui a tout de suite bien fonctionné, d’autres départements ont mis en place des Fonds d’actions santé. Nous nous sommes rendu compte que le modèle économique était tout à fait viable. Le département de Meurthe-et-Moselle a alors décidé de lancer une « carte santé» pour les personnes qui étaient au RMI. ATD Quart Monde a bataillé pour que les personnes bénéficiant d’un peu plus que le RMI (25%) soient également inclues et, en 1988, est créée la Carte santé 54. Les bénéficiaires n’avaient plus besoin d’avancer l’argent et se soignaient donc en dehors des crises aiguës. Cela coûtait moins cher à la communauté au final, car il y avait une diminution des coûts de prise en charge des populations précaires. Il était donc pertinent de rendre ce droit au soin universel. Cette expérience locale a inspiré la ministre de la Solidarité de l’époque, Martine Aubry, et la Couverture maladie universelle et sa complémentaire, la CMU-C, ont été instaurées par la loi du 27 juillet 1999.

Comment s’est mise en place la CMU ?

Martine Aubry a fait adopter sa loi rapidement, les professionnels de santé n’étaient pas tous prêts à franchir ce pas. Beaucoup de gens ont eu la CMU et sont allés se faire soigner. Les professionnels se sont trouvés face à une population qu’ils ne voyaient pas jusqu’alors, qui ne les comprenaient pas et qu’ils ne comprenaient pas. Il y avait de réelles difficultés, et des discriminations ou différenciations de soins. ATD Quart Monde a alors commencé, avec les professionnels et les militants Quart Monde, un travail sur la relation soignants-soignés ainsi que des co-formations en santé. L’objectif était de redonner de l’humanité à cette relation et de permettre à ces deux populations de se rencontrer. Des lieux de parole, de partage d’actions se sont développés, réseau Wresinski santé, réseau Santé Précarités de la ville de Nancy, groupe santé Quart-Monde et c’est de ces échanges qu’est né le Laboratoire d’idées santé du Mouvement.

Ensuite, la CMU n’a cessé d’évoluer au fil des années. Les seuils, mais aussi la manière dont on calcule ces seuils, ont été modifiés à plusieurs reprises et des personnes n’y avaient alors plus accès. Il y avait donc une grande fragilité, on dépendait du bon vouloir des gouvernements successifs pour englober des personnes vulnérables ou les rejeter. Au moment de la mise en place du RSA, en 2009, il y avait eu une baisse de quasiment 25 % du seuil d’éligibilité et il n’y avait plus de connexité des droits entre minimum social et accès aux droits santé (RSA et CMU), alors que nous nous étions battus pour cela en 1999. Ainsi, 3 millions de personnes n’avaient pas de mutuelle en 2009.

Comment le dispositif a-t-il évolué ?

Face à ces difficultés, les militants Quart Monde qui avaient perdu la CMU à cause des effets de seuil ont décidé de faire une mutuelle de groupe, qui leur assurerait deux choses : « ne pas être endettés à cause de séjours à l’hôpital et pouvoir enterrer dignement leurs morts ». Les soins des yeux, des dents et des oreilles n’étaient plus une priorité, la situation était grave. Le plus grand reste à charge des militants était d’enterrer leurs morts, car seuls les salariés ont accès au capital décès de la sécurité sociale. Nous avions oublié de transférer ce capital décès dans les garanties de la CMU-C. Aujourd’hui encore, cette injustice subsiste.

Nous avons donc négocié un contrat de groupe local avec la mutuelle ACORIS et la Fnars (Fédération nationale des associations de réinsertion sociale) en a été le porteur. C’était une complémentaire santé de bonne qualité pour une cotisation réduite. Ce contrat a inspiré le Premier ministre de l’époque, Jean-Marc Ayrault, qui a alors annoncé en 2013 une hausse de 7% du plafond de ressources permettant de bénéficier de la CMU complémentaire, une attribution de l’ACS aux personnes sous le seuil de pauvreté, seuil relevé à cette occasion à 60% du revenu médian soit 1015 euros mensuels et une généralisation du contrat de groupe au niveau national. ATD Quart-Monde cofonde alors l’ACS-P avec cinq mutuelles (Harmonie mutuelle, Adrea mutuelle, Apreva, Eovi mutuelle, Ociane mutuelle). L’association pour « l’accès à la complémentaire santé des personnes en précarité » devra distribuer plus largement ce contrat et être un observatoire au plus près du terrain.

Mais l’objectif reste de développer le dispositif existant, trop peu employé, l’ ACS. Cette Aide à la complémentaire santé est une aide financière à l’acquisition d’une complémentaire santé pour les personnes en précarité dont les revenus sont supérieurs au plafond d’attribution de la CMU-C et sous le seuil de pauvreté. Un appel d’offre est lancé par le gouvernement d’alors et treize regroupements d’assureurs proposent ce contrat. Mais le capital décès n’est toujours pas dans le contrat. Les militants Quart-Monde vont alors travailler avec les organismes de pompes funèbres et les mairies et un contrat obsèques sera le résultat de ce travail. Il est porté par ATD Quart-Monde et CNP Assurances et proposé en complément de ces contrats santé.

Quelles sont aujourd’hui les évolutions envisageables de la CMU ?

En 2017, le Fonds CMU et l’association ACS-P ont fait l’évaluation de ces contrats et nous nous sommes rendu compte que cette mutuelle de groupe était encore très injuste, parce que les gens devaient avancer l’argent et il leur restait beaucoup choses à payer sur les soins. Les professionnels avaient tendance à tenir ces personnes éloignées de leurs cabinets. En outre, 50 % des personnes qui devraient avoir ce contrat ne l’ont pas, car elles ne savent pas qu’elles y ont droit ou bien elles ont peur de le prendre et de risquer d’être discriminées. De nombreux acteurs mettent alors tout en œuvre pour remédier à cette injustice.

La réforme très importante qui entrera en vigueur le 1er novembre 2019 comprend une grande part des demandes d’ATD Quart Monde. Le nouveau dispositif, issu de la fusion entre CMU-C et ACS, portera le nom de « complémentaire santé solidaire ».  Les assurés dont les ressources sont inférieures à 745 euros (plafond actuel de la CMU-C pour une personne seule) auront toujours accès au panier de soins de la CMU-C, gratuitement. Les personnes dont les ressources sont comprises entre 745 et 1007 euros, aujourd’hui éligibles à l’ACS, accéderont au même panier de soins sans restes à charge sur leurs frais de santé, en contrepartie d’une participation financière, progressive avec l’âge. Pour les moins de 29 ans, son montant est de 8 euros par mois et il atteint 30 euros par mois pour les 70 ans et plus.

ATD Quart Monde sera mobilisé pour que la mise en œuvre de cette complémentaire santé solidaire soit une vraie réussite sociale.

Propos recueillis par Julie Clair-Robelet