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Coronavirus : les propositions pour « le monde d’après »

Membre du Conseil scientifique Covid-19, la vice-présidente d’ATD Quart Monde, Marie-Aleth Grard, détaille les préoccupations et les propositions du Mouvement en cette période de crise sanitaire et sociale.

Comment avez-vous intégré le Conseil scientifique Covid-19 ?

Le président du Sénat, Gérard Larcher, m’a appelée au début du confinement pour me demander d’y participer. Il connaissait mon engagement à ATD Quart Monde et souhaitait que les plus pauvres ne soient pas les oubliés de cette crise sanitaire. « On ne réglera pas le Covid-19 à coups d’amendes », m’a-t-il dit.

Quel est votre rôle au sein de ce conseil ?

Nous sommes 14 et nous avons a minima une réunion téléphonique par jour, pendant au moins deux heures. Le président, Jean-François Delfraissy, fait en sorte que chacun ait sa place. Nous produisons presque chaque jour une note pour le président de la République et le Premier ministre, qui n’est pas publique, et des avis qui sont publiés sur le site du ministère de la Santé. Tous les avis, même les plus scientifiques, comportent une question sociale et des informations sur les populations les plus précaires.

Je fais tous les deux jours une note pour signaler les conséquences de cette crise sur les personnes les plus pauvres. Je ne porte pas seulement la voix d’ATD Quart Monde, mais aussi celles de tout ceux que l’on n’entend pas. Je reçois ainsi de nombreuses informations de Médecins du monde, du Secours catholique, du Secours populaire, d’associations très diverses et je les fais remonter.

Au sein d’ATD Quart Monde, comment les équipes se sont-elles organisées pour poursuivre leur action ?

Une « cellule Covid-19 » a été mise en place dès le début de la crise. Elle réunit trois soirs par semaine une quinzaine de personnes pendant deux heures par téléphone. L’objectif est de se donner des nouvelles des familles les plus en difficulté et de mettre en place des actions concrètes. Grâce à tous nos membres partout en France, nous avons des points d’alerte et nous voyons comment soutenir les équipes, retransmettre aux uns et aux autres les initiatives pour garder le contact et poursuivre l’action, comme par exemple la lecture sur le palier ou au pied des immeubles pour remplacer les Bibliothèques de rue, les cours par téléphone…. Cela permet de se redonner des forces dans les moments de découragement.

Quels sont aujourd’hui les points les plus préoccupants ?

Il y a d’abord l’école. Les familles s’inquiètent beaucoup pour leurs enfants, on perçoit par exemple leur crainte de se faire marginaliser à l’école parce que l’enfant ne reprendra pas. Il y a ensuite les conditions d’hébergement et de logement très difficiles. Le confinement a été très dur pour des familles qui se sont retrouvées dans des logements trop petits, insalubres…

L’alimentation est également un sujet très préoccupant. C’est terrible, nous voyons que de nombreux militants Quart Monde, qui n’allaient plus aux distributions alimentaires depuis longtemps sont obligés d’y retourner, parce que la petite épicerie du coin est plus chère que l’hypermarché où ils vont d’habitude, qui est trop loin. Nous voyons aussi toutes les difficultés des parents qui n’ont pas pu avoir de contacts, ou très peu, avec leurs enfants placés. Cela a été très difficile autant pour les enfants que pour les parents.

Les problèmes d’emplois sont également importants, pour les personnes qui sont dans des emplois très précaires. Elles ne savent pas quand elles vont pouvoir reprendre. Cela insécurise beaucoup les familles. J’ai en outre alerté le Conseil scientifique sur la question des décès des personnes en situation de grande pauvreté, car le coût des obsèques met certaines familles dans des positions absolument intenables.

Quelles sont les propositions d’ATD Quart Monde pour construire « le monde d’après » ?

Nous avons choisi de mettre en avant 5 propositions concrètes. Nous demandons d’abord un logement digne pour toutes et tous. Pour cela, nous voulons notamment que, d’ici un à deux ans soit établie une nouvelle politique de fixation des loyers qui permette à toute famille bénéficiant de minima sociaux d’intégrer un logement digne, et le doublement de la production de logements sociaux et écologiques dans les zones tendues.

Nous voulons aussi un emploi décent et utile pour toutes et tous. L’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée doit être une source d’inspiration pour savoir comment envisager l’emploi des personnes les plus démunies sur un territoire. Nous demandons l’abandon de la totalité de la réforme de l’assurance-chômage qui pénalise les travailleurs les plus précaires.

Nous souhaitons ensuite que le montant du RSA soit porté à 900 euros pour une personne seule et préconisons l’accès au RSA pour les jeunes à partir de 18 ans avec l’obligation pour l’État de les former à un métier.

Nous demandons des services publics essentiels accessibles à tous. Il n’est pas normal que des services comme la Sécurité sociale ou la Caf ne soient accessibles que par des numéros de téléphone payants. Quand on a une carte de téléphone pré-payée, on dépense parfois la totalité de sa carte pour, finalement, n’avoir aucune réponse pour son dossier de renouvellement de RSA par exemple.

Nous voulons enfin que les politiques soient pensées, mises en œuvre et évaluées avec tous et non par une minorité.

Depuis le début de cette crise, le président de la République dit qu’il est très attaché à faire attention aux plus démunis, aux plus fragiles. Il faut qu’il ait cette attention, pas par « des bouts de ficelle », mais par une approche globale de l’amélioration des droits. Propos recueillis pas Julie Clair-Robelet

Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de juin 2020.

Photo : Marie-Aleth Grard. © ATD Quart Monde