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Quel bruit ferons-nous ?

Quel bruit ferons-nous ?

Livre de questionnements dans lequel Arlette Farge, à partir de ses recherches sur les archives judiciaires du XVIIIe siècle, nous révèle les liens entre les modes de vie d'alors et les turbulences de notre société actuelle. Une Histoire des pauvres… mais à partir des traces et des indices laissés par eux.

Dans ces entretiens avec Arlette Farge, Jean-Christophe Marti (qui est musicien) cherche à lui faire préciser son parcours d’historienne hors des sentiers battus de l’histoire officielle :
– sa démarche érudite dans l’étude des archives judiciaires du XVIIIe siècle,
– ses convictions d’enseignante et de directrice d’études à l’EHESS,
– ce que voulait dire se revendiquer d’être citoyenne en affrontement de la vie moderne,
– comment révéler des liens possibles entre les modes de vie d’alors et le monde actuel ?

«Il s’agit seulement de montrer comment des personnes déniées par les élites, dans leurs pensées et dans leur raison, sont parvenues à construire – en parlant, en pratiquant, en vivant, en s’organisant, en se cachant, en rusant – quelque chose de drastiquement opposé à la société qu’elles connaissaient ».

Elle explique aussi combien la présentation de témoignages individuels sans explication préalable du contexte de la situation sociale de l’époque peut être fallacieuse : « Toute parole énoncée doit s’accompagner de l’exposition des raisons pour lesquelles telles ou telles paroles sont dites. J’ai du mal à comprendre que l’on puisse aujourd’hui laisser lire des paroles singulières et des témoignages à un public solitaire et livré à lui-même, ou posté devant son écran de télévision…»

Le livre est une réponse à cette interrogation formulée à la fin d’un livre précédent Le bracelet de parchemin. Elle en précise le sens : « Aujourd’hui, quel bruit ferons-nous à partir de nos interrogations sur la pauvreté, sur la misère, et sur ceux qui dorment dans la rue ? […] Quel bruit ferons-nous avec les mots de ces personnes dites malades, ivres, psychotiques ou simplement déprimées ? » Questionnement déterminant dans notre approche auprès des populations pauvres qui nous invite à reconnaître la marginalisation de la parole populaire, à comprendre comment, aujourd’hui encore, elle reste exclue de toute visibilité politique.

Arlette Farge évoque ainsi sa quête d’une écriture engagée, pour mieux transmettre l’histoire, pour en faire un outil servant à une meilleure compréhension et appropriation de notre présent. Une exigence intellectuelle vis à vis non seulement de l’Histoire à transmettre, mais aussi de l’Histoire des hommes à comprendre dans l’actualité crue de leur époque, l’Histoire des pauvres au sein d’une société qui les ignore.

Jean-Pierre Touchard

Les Prairies ordinaires – 2005 – 224 p.