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Que faire de notre vulnérabilité ?

Que faire de notre vulnérabilité ?

Un philosophe plaide pour que le soin des exclus ne se fasse qu'à partir de leur puissance d'agir, pour qu'ils soient non seulement considérés comme des citoyens mais qu'ils exercent un droit de regard sur la citoyenneté.

N’y aurait-il pas de monde commun entre ceux du dedans et ceux du dehors, entre les inclus et les exclus qui n’auraient pas droit de cité ? La question politique de l’exclusion transforme directement ce problème en question sociale : l’exclu est-il encore un citoyen ? D’où la thèse que défend l’auteur : « C’est seulement à la condition de repenser la citoyenneté des exclus que nous pourrons repenser une citoyenneté comme réponse à l’exclusion… La politique ne peut être qu’une réponse à la réalité sociale qui établit sinon une fracture sociale du moins un partage entre un dedans et un dehors, sépare les riches des pauvres, les vies intégrées des précaires…»

Il analyse les normes économiques de l’employabilité et leur violence qui excluent des vies qui ne satisfont pas à la normalité. L’exclu est bien quelqu’un qui a droit de cité et dont l’existence « hors norme » engage une autre compréhension de la cité. Il faut donc se demander quelle doit être la citoyenneté et supprimer ce que l’auteur appelle ses « angles morts » qui occultent l’exclusion.

Mais alors, pouvons-nous parler ou agir au nom des exclus ? Ne peuvent-ils se représenter eux-mêmes ? Parler au nom des autres a-t-il un sens ? Comment redonner voix aux « sans-voix » sans se substituer à eux ? L’auteur choisit : « Parler au nom des autres devient un impératif éthique et politique », et ne peut signifier ni « parler pour les autres, ni parler à la place des autres ». C’est le seul moyen de l’émergence d’un nous et de la mise en commun de la vulnérabilité.

L’auteur se demande alors si l’exclusion n’est pas une question piège ! Pour lui, envisager un droit de cité pour les exclus ne vient ni d’un impératif compassionnel, ni d’un devoir d’assistance ou de soin (care), mais « atteste de l’importance d’être humain jusque dans l’exclusion », convaincu que nous habitons le même monde !

A ce point il développe une critique habile des attitudes de soin et d’empowerment à l’encontre des exclus, qui souvent cachent des arrières pensées charitables ou néolibérales. A l’opposé, il défend que la référence à l’empowerment n’a de sens « que si elle n’est jamais séparée des institutions de soin social qui modulent la justice sociale en justice distributive » et « n’a de sens qu’au sein de mouvements sociaux qui mobilisent les différentes facettes du pouvoir des exclus… ». Pour lui, l’enjeu ultime de la lutte contre l’exclusion est de faire parler les exclus pour les enrôler dans des dispositifs de contrôle des situations où ils se trouvent, de leur permettre d’agir réellement en pesant sur les conditions sociales et mentales de la domination et de l’oppression dont ils sont l’objet.

Vient la fin conclusive de ce long cheminement de raisonnements : notre société ne veut plus voir les exclus, ne souhaite plus les accueillir ! Mais d’où vient cette suffisance des inclus si ce n’est d’un ajournement de notre propre vulnérabilité. D’où nous vient notre certitude que notre tracé en humanité est le bon ? C’est un mode de penser qu’il faut remettre en question pour pouvoir faire place à la vie dite autre. Contre la suffisance d’une communauté qui se proclame invulnérable, l’accueil de l’exclu fait advenir une autre humanité, sensible, vulnérable tout autant qu’imprévisible.

Un ouvrage très intéressant mais d’un abord parfois difficile, tant les méandres des réflexions philosophiques, économiques ou sociologiques sont enchevêtrées, tant parfois les développements critiques l’emportent sur des propositions humanistes.

Jean Pierre Touchard

Éditions Bayard – Le temps d’une question – 2011 – 217 p.