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Le promeneur

Le promeneur

On peut difficilement rêver roman plus ciblé pour inviter chaque simple citoyen à ouvrir son regard sur l’exclusion, ici et ailleurs, et à s’engager autrement qu’en devenant un « bienfaiteur ».

« Oh comme il aurait aimé prendre une hache ou mieux encore : un ciseau tranchant pour épanneler, une gouge pour ôter tout ce qui les gênait : saletés, traits maussades…jusqu’à ce que sorte de lui un homme plus agréable », peut-on lire à la page 161.

C’est donc l’histoire du réveil d’un homme. Un Néerlandais solitaire enfermé dans ses manies, son confort, sa lâcheté et qui, un jour regarde en face la misère de ses contemporains, brise sa carapace d’égoïste et ne se retrouve plus étranger à la cohue. Il s’appelle Mulder. Il est rentier, en deuil d’un amour, aime la propreté, l’Art. C’est tout ce que nous saurons sur lui tant l’histoire concerne non pas son passé mais sa métamorphose. Car notre héros va entreprendre un long voyage intérieur au gré de ses promenades quotidiennes (d’où le nom du livre). Non seulement il se trouve embarqué dans des mondes jusqu’alors inconnus : ceux des immigrés, des femmes de ménage qui habitent la grande banlieue, des clochards…mais il est amené à des actes jusqu’alors inimaginables comme faire le clown dans une chambre d’hôpital pour une fillette brûlée, ouvrir son appartement à une clocharde unijambiste, se compromettre à la transaction de faux passeports, participer à une cérémonie funéraire dans une mosquée et même se lier d’amitié avec un curé. La croyance et le débat entre bien et mal tiennent du reste une place centrale dans l’ouvrage. Le plus original, c’est que le guide « spirituel » de Mulder est un chien, le Chien – son double ? – surgi des décombres d’un incendie. Ainsi raconte l’auteur en page 165 : « Toutes les misères qu’il avait vues au cours de ses promenades s’étaient peu à peu accumulées dans sa tête, l’empressement avec lequel le quartier tentait de l’oublier l’agaçait. Les autres ne voyaient-ils pas ce qu’il avait vu, ce que son chien lui avait appris à voir ? »

On peut difficilement rêver roman plus ciblé pour inviter chaque simple citoyen à ouvrir son regard sur l’exclusion, ici et ailleurs, et à s’engager autrement qu’en devenant un « bienfaiteur ». Un livre à conseiller avec d’autant plus d’enthousiasme qu’il est remarquablement écrit. Adriaan Van Dis a un talent fou pour trouver des formules percutantes et parfois féroces. Certaines descriptions de personnes abîmées par la vie et l’évocation des horreurs du monde sont parfois crues mais jamais misérabilistes. L’humour et un immense besoin de croire en la bonté l’emportent.

Le livre a le défaut d’être parisien et les lecteurs de la capitale s’amuseront à reconnaître leur ville dans ce jeu de pistes. Il reste néanmoins fidèle à la vie de toutes les mégapoles où les exclus deviennent, aujourd’hui, invisibles.

On peut également regretter l’accumulation de faits divers empruntés à l’actualité (noyades de clandestins, incendies de squats, occupations de lieux de culte pour soutenir des sans-papiers, attentats, tsunamis…). Cela fait inutilement mode. Reste l’essentiel : l’invitation à changer de regard.

Chantal Joly

Editions Gallimard –  2007 – 265 p.

Compte rendu publié dans la Revue Quart Monde n° 207 : Un toit, du pain, des roses !