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La mesure de la dérive

La mesure de la dérive

Dans les paysages magnifiques d'une île grecque, l'errance d'une jeune libérienne qui lutte pour rester debout

Disons-le sans attendre : c’est un très beau roman !
On est pris, du début à la fin, par le récit de l’errance de Jacqueline, jeune Libérienne échouée sur l’île grecque de Santorin. Son passé et les circonstances qui l’ont amenée là nous seront livrés petit à petit au gré des souvenirs qu’elle égrène dans la solitude, l’abandon, le dénuement total sur des plages envahies par les touristes.

Ce qui la maintient et lui permet de conserver une apparence normale, c’est à la fois sa dignité, son refus de sombrer dans la déchéance, et les dialogues imaginaires qu’elle entretient avec ses parents, sa petite sœur Saifa et son ami Bernard. Ces personnages absents apportent au récit une dimension affective et la poésie des digressions oniriques. Elle a besoin d’entendre sa mère lui dire si ce qu’elle entreprend au jour le jour, pas à pas, son comportement avec les gens qu’elle rencontre, est positif ou négatif, bien ou mal.

La dignité, c’est de paraître au milieu de ces gens en vacances comme si elle était de leur monde. D’où l’importance de la tenue, de la toilette quotidienne, de la nourriture pour ne pas maigrir et ressembler à une crève-la-faim. Quelques séances rapides de massages sur des corps alanguis lui permettent de grappiller quelques euros pour s’acheter le minimum vital. Ce qui la maintient debout et l’empêche de sombrer dans la folie, c’est aussi de bouger sans cesse, de se donner l’illusion d’avancer, de ne jamais rester longtemps dans la même grotte, dans la même anfractuosité de rocher où elle s’est créé un semblant de chambre pour les nuits.

Nous vivons tout cela avec elle, pour elle et à travers elle. Cette dérive dans le décor ensoleillé de paysages splendides, c’est comme si nous les vivions, et nous aimerions lui donner, comme sa mère, des conseils. Nous écouterait-elle, cette petite Jacqueline, si volontaire et pourtant si fragile ?
De toutes les rencontres qu’elle fait, elle se méfie, et ne tient pas à s’attacher, de peur d’être dévoilée dans sa misère. C’est grâce à l’une d’elles, avec la jeune Katarina, qu’elle trouve enfin la force de tout révéler, de se libérer de son passé tragique. Le récit en est long, haché, à la mesure de l’horreur vécue. Au lecteur de comprendre que Jacqueline s’est enfin retrouvée et qu’elle pourra désormais envisager un avenir.

Claude Dinnat

Éditions Belfond – 2014 – 290 p.