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Enfants de paysans pauvres à l’université publique

Enfants de paysans pauvres à l’université publique

Pourquoi les rares enfants de paysans pauvres du Sénégal qui accèdent à des études supérieures ne parviennent pas à réussir dans leurs études et à modifier, par leur réussite, la condition de leur classe sociale ?

Auto-exclusion des exclus de l’intérieur

Harouna Sy est sociologue, professeur dans une université de Dakar, spécialiste des questions d’éducation. Il s’inscrit dans le courant de la sociologie inspirée par une lecture marxiste de la société, représenté par Pierre Bourdieu amplement cité dans le livre.

Il s’appuie sur l’analyse de la situation socio-économique et culturelle des paysans pauvres du Sénégal d’une part et le système éducatif d’autre part, dans une visée historique marquée par la colonisation, l’indépendance, la période socialiste suivie d’un virage vers une économie mondialisée et libérale. Il confronte ces réalités à l’analyse d’entretiens menés auprès de 132 étudiants, enfants de paysans pauvres, inscrits dans 5 universités de Dakar.

Les conclusions sont assez sombres. L’investissement démesuré des parents, de la famille élargie, des étudiants eux-mêmes pour s’adapter fait face à un système qui fait semblant de vouloir les accueillir (démocratisation du système scolaire) mais qui ne s’est pas réformé pour tenir compte de leurs réalités et n’a jamais rompu avec son objectif non avoué de reproduction des classes dominantes.

Dès l’école élémentaire les processus d’exclusion et d’auto-exclusion sont à l’œuvre. Pour qu’un enfant (souvent un seul par famille, l’aîné) accède à des études supérieures, les parents et les étudiants développent des stratégies faites d’entraide, de débrouille, de courage. Mais toutes sont contrecarrées par les contraintes de leur condition de paysans pauvres aux ressources faibles et aléatoires. Les étudiants s’acharnent pour réussir à tout prix et mériter les sacrifices de leur famille. Mais leurs efforts, pour apprendre par cœur par exemple, sont inadaptés aux attentes de l’université qui correspondent aux classes disposant de meilleurs moyens financiers et surtout culturels. Faute de maîtriser les filières ils s’orientent « à la roulette russe ». Au final, sur les 132 étudiants interrogés, 9 seulement poursuivent une scolarité pouvant être qualifiée de réussie (sans redoublements excessifs, avec une adéquation entre les choix de départ et le parcours).

Devant ce constat, l’auteur manifeste beaucoup de pessimisme. Pour lui, la dégradation observée ces dernières années est due à l’intégration du système scolaire dans l’économie de marché, en particulier à l’absence d’une réforme agraire qui aurait été un préalable nécessaire pour sortir cette classe sociale de l’économie de survie et mieux la préparer à un parcours de réussite scolaire. Par ailleurs il regarde avec inquiétude la disparition de l’engagement politique qui avait mobilisé les étudiants de la génération précédente. Aujourd’hui, leur investissement dans les associations communautaires d’entraide et, plus grave selon lui, dans les confréries religieuses, risque de les empêcher de consacrer suffisamment d’énergies pour persévérer avec succès dans leurs études.

Brigitte Bureau

Éditions l’Harmattan – 2020 – 350 pages.