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Des sans-logis aux sans domicile

Des sans-logis aux sans domicile

Le Foyer Notre-Dame des Sans-Abri à Lyon depuis 1950.

Après celles du Secours populaire français en 2006, d’Emmaüs et l’abbé Pierre en 2009, Axelle Brodiez nous livre ici l’histoire d’une autre association engagée dans le combat contre la pauvreté, moins connue au plan national que les deux précédentes, mais centrale dans l’espace lyonnais.

D’un petit asile de nuit pour hommes sans-logis créé en 1950 dans le giron des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul et de la Paroisse universitaire, le « Foyer » est devenu au fil des années une organisation complexe ouverte aux familles et aux migrants, comptant 1300 bénévoles et 300 salariés, gérant 1450 places d’hébergement réparties en diverses cités ou localités de l’agglomération et même au-delà. Il a été co-fondé, dirigé et animé par Gabriel Rosset, qui resta professeur de lettres dans l’enseignement public jusqu’à sa retraite en 1965 avant de pouvoir s’y investir à plein temps jusqu’à sa mort en 1974. Il s’est inscrit dans la mouvance des œuvres caritatives, « caractérisé par sa double matrice fonctionnelle (l’action sociale) et religieuse (le christianisme) ». Axelle Brodiez en retrace, étape par étape, les métamorphoses successives pour s’adapter à l’évolution croissante des besoins comme des nouvelles dispositions législatives et réglementaires, au gré des soutiens politiques (préfecture et municipalité), des subventions publiques et privées, des engagements de mécènes et de bénévoles, Elle évoque les diverses crises ou tensions engendrées par les mutations inhérentes à l’extension d’une telle entreprise, avec par exemple la création d’une société d’HLM ou le recours à la professionnalisation. En contraste perdurent des traits caractéristiques de l’ancrage religieux qui a présidé à cette fondation. La prégnance des références chrétiennes y affecte les relations internes et de multiples liens sont cultivés avec des représentants de l’Église catholique, sans leur être vraiment inféodés mais en participant au « Comité lyonnais des œuvres religieuses d’entraide ».

Plusieurs aspects de cet ouvrage méritent d’être soulignés. Bien évidemment la meilleure connaissance qu’il permet de Gabriel Rosset, de sa vie, de ses inspirateurs, de ses premiers collaborateurs, de la manière dont son œuvre s’est développée et lui a survécu. Également la prise en compte du contexte socio-politique contemporain, tant national que régional, relatif à une crise récurrente du logement. Celle-ci a rendu nécessaire l’invention d’une grande variété de solutions, toujours insuffisantes, pour tenter de répondre à l’urgence sociale de la mise à l’abri des personnes et des familles à la rue (asiles de nuit, cités d’urgence, cités de transit, foyers puis centres d’hébergement, SAMU social et 115, chambres d’hôtel, etc…). Puis il a fallu envisager pour elles la perspective, malheureusement souvent lointaine pour certaines, de l’accès à un véritable logement décent et pérenne. A cet égard, les mobilisations associatives ont joué un grand rôle pour obtenir quelques avancées, législatives ou autres, en faveur du respect de droits fondamentaux.

En ce qui concerne la stratégie à mettre en œuvre dans ce domaine de l’accès au logement des plus démunis, l’auteure montre bien que le « Foyer » n’a pas échappé au dilemme des acteurs sociaux. D’un côté, les tenants d’une primauté de l’offre de nouveaux accueils immédiats en urgence nécessitant en aval, pour en garantir la possibilité permanente, la libération rapide des places dédiées grâce à un turn-over impliquant un séjour très limité dans le temps et donc le risque d’une éventuelle remise à la rue à défaut d’un accès conséquent à d’autres structures transitoires promotionnelles. De l’autre, les tenants de la primauté d’une certaine stabilisation dans une première structure d’accueil temporaire, condition de sécurité indispensable pour pouvoir se rebâtir et se projeter dans l’avenir, et donc condamnant toute expulsion sans véritable relogement, quitte à maintenir plus longtemps hors-abri des plus pauvres qui se présenteraient, si de nouvelles structures d’accueil n’ont pas été édifiées. « Le manque de places d’hébergement et de logement rend la continuité (stabilisation) et l’inconditionnalité (mise à l’abri pour des raisons humanitaires) incompatibles dans la pratique. Il va falloir avoir le courage politique de l’admettre » (Rapport pour l’année 2012).

D’autres dilemmes propres aux associations de solidarité sont également contés : « se professionnaliser tout en restant ancré dans le bénévolat ; accepter des formes de délégation de service public tout en conservant une autonomie de parole ; compenser la précarité des fonds publics par une hausse des ressources privées ; pallier les conséquences du mal-logement tout en luttant contre les causes…etc. »

L’auteure fait place aussi aux crises fonctionnelles et identitaires qui ont surgi dans les années 1990, où notamment a fait débat la question du positionnement caritatif, spirituel, confessionnel de l’œuvre. Il a fallu trouver des équilibres. En janvier 2000, le Conseil d’administration a reprécisé sa « mission caritative d’essence confessionnelle » mais aussi son caractère « non prosélyte ». Et si la décision a été prise de faire instruire un procès en béatification du fondateur, il a été souhaité que la demande officielle provienne d’un collectif spécifique : une Association des Amis de Gabriel Rosset.

Un livre d’histoire donc, richement documenté, grâce en grande partie aux archives de l’organisme étudié. Il intéressera particulièrement tous ceux qui sont impliqués dans les combats pour le droit à l’hébergement et au logement, dont l’application et le respect sont encore loin d’être effectifs pour tous. L’expérience du « Foyer Notre-Dame des Sans-Abri » a valeur de référence significative.

Daniel Fayard

Presses universitaires de Saint-Étienne – Sociologie – Matières à penser – 2020 – 267 p.