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D’ailleurs et de nulle part

D’ailleurs et de nulle part

Un livre d'historien sur les populations de l'errance : mendiants, vagabonds, migrants, gitans, clochards, SDF, routards... Une analyse de cette société mouvante depuis le Moyen Age jusqu'au XXe siècle.

Mendiants vagabonds, clochards, SDF en France depuis le Moyen Age

Après deux livres sur la grande pauvreté, l’un pour le XIXe, l’autre pour le XXe siècle, André Gueslin se consacre cette fois à l’histoire, du Moyen Age à nos jours, de ceux qu’on appelait autrefois les vagabonds et qu’aujourd’hui on dit SDF, qui ont en commun l’errance. Pour ce faire, il puise ses sources dans de nombreuses œuvres littéraires (du Roman de la Rose au prix Goncourt), et artistiques (peinture, chanson, airs d’opéra, cinéma…), dans les récits de chroniqueurs, des journalistes, enquêteurs, dans les discours de courants idéologiques ou religieux et dans ceux des hommes de pouvoir : les errants y sont bien présents et pourtant absents de notre culture comme sujets de notre histoire.

En 1989 des historiens intervenus comme A. Gueslin lui-même au colloque Démocratie et pauvreté, organisé par l’université de Caen et ATD Quart monde, avaient conclu : l’historien doit s’interroger sur ce regard des autres souvent négatif. C’est ce à quoi s’emploie André Gueslin dans cet ouvrage, en tant qu’historien mais aussi en tant que citoyen, précise-t-il.

Les vagabonds comme les SDF feraient plutôt partie des mauvais pauvres, accusés de tous les maux et surtout celui de ne pas travailler. Mais leur comportement n’est-il pas lié aux aléas impitoyables de l’errance ? A l’exception de quelques figures comme les hippies des années 70, il s’agit bien de toute une population au bas de l’échelle sociale, en rupture de moyens de subsistance, de logement, de liens familiaux, d’emploi, ou dans le cadre d’un travail comme certains petits métiers ou les journaliers… Leurs paroles saisies par les autres reflètent le discours dominant qui leur donne une mauvaise image d’eux mêmes mais on peut  saisir aussi leur honte et leur quête de dignité.

On serait tenter de voir une continuité, une fatalité historique étant donné les rémanences de fantasmes et de rejets à travers le temps : y-aura-t-il donc toujours des condamnés à l’errance et pour certains dans l’impossibilité de s’en sortir quand on reste trop longtemps à la rue, condamnés à y mourir, hier comme aujourd’hui ?
Ce temps long de l’histoire révèle les choix politiques et économiques d’une époque à l’autre. Leur nombre enfle avec les crises frumentaires, industrielles et post-industrielles. Très tôt le vagabond est considéré comme suspect, le vagabondage est devenu un délit pour avoir transgressé les normes, l’objectif est de « surveiller et punir » selon l’expression du philosophe Michel Foucault ; la répression est sans pitié : de la marque au fer chaud à l’enfermement et au travail forcé…

Avec la Révolution française, les Droits de l’homme sont à l’ordre du jour, le pays s’achemine vers le XXe siècle et l’État providence. Et pourtant, après l’apparition du terme clochard au XIXe, plus attaché à la ville, celui de SDF est toujours d’actualité, malgré un changement « considérable », écrit l’auteur : de coupables ils deviennent sujets de droit, avec notamment la loi sur le RMI, la loi Besson, la grande loi de 98, loi d’orientation de lutte contre les exclusions (faisant suite au rapport Wresinski) et la loi Dalo…

On pourrait ajouter que ce changement a été rendu possible grâce à des personnes, des familles, qui aujourd’hui ont connu l’errance, ont pu en témoigner et être entendues. André Gueslin conduit le lecteur à prendre conscience du poids du passé dans les schémas de représentation, à se défaire de certains préjugés discriminants.

Michèle Grenot

Éditions Fayard – 2013 – 543 p.

Compte rendu publié dans la Revue Quart Monde n° 227 : Rire