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Contrôler les assistés. Genèses et usages d’un mot d’ordre,

Contrôler les assistés. Genèses et usages d’un mot d’ordre,

Le sociologue Vincent Dubois essaie ici de comprendre comment et pourquoi ce sont en particulier les bénéficiaires des aides sociales qui concentrent l’attention politique et médiatique.

Chaque année, la publication du rapport de la CNAF sur les fraudes aux prestations sociales est très relayée dans les médias, et chaque année voit passer de nouvelles propositions de loi pour renforcer la lutte contre la fraude sociale (la dernière proposition de loi de ce genre a été présentée au Sénat en décembre 2020).

Rappelons que la fraude au RSA ne s’élève qu’à 180 millions d’euros, à comparer avec les fraudes aux impôts qui avoisinent les 7 milliards d’euros.

Vincent Dubois étudie le travail des agents de la CAF depuis 1995. C’est l’époque où le gouvernement Chirac déclare qu’il va « casser la culture du RMI ». Ce thème sera bientôt repris par Nicolas Sarkozy, pour lequel « la France qui se lève tôt le matin ne peut accepter que le produit de ses impôts ne soit pas utilisé avec une efficacité maximale », qui s’insurge que dénoncer la fraude soit « déplacé » et que la gauche défende les bénéficiaires des aides sociales.

Cette « culture du RMI » est dénoncée dès 1995 alors que le RMI est très récent et qu’aucune étude ne vient étayer l’existence d’une telle « culture du RMI ». Au contraire, l’expérimentation qui avait été conduite en Ille-et-Vilaine à la fin des années 1980 par ATD Quart Monde et la CAF avait montré qu’un tel revenu minimum ne provoquait pas de désincitation au travail. En réalité, Vincent Dubois montre que la lutte contre les fraudes sociales est un terrain très rentable à investir pour des politiques en campagne, selon le principe qu’il est plus facile de s’attaquer aux pauvres qu’à la pauvreté.

Il dénonce cette inversion des valeurs réussie par les politiques, qui consiste à faire oublier le risque de pauvreté encouru par des groupes sociaux, pour mettre au premier plan le risque qu’une personne puisse abuser de la protection sociale. Cette vision individualisée du contrôle contribue selon Vincent Dubois à transformer un problème structurel et collectif (la pauvreté, le chômage) en faute individuelle : la lutte contre la fraude est devenue un outil de « gouvernement des pauvres », qui impose une norme et incite à retrouver au plus vite le chemin de l’emploi.

Vincent Dubois constate que « le non-recours n’a jamais été une préoccupation aussi forte que la fraude », et aussi que le rôle de conseil des agents de la CAF s’est peu à peu effacé au profit d’une logique de contrôle et de surveillance des allocataires.

Jean-Christophe Sarrot

Raisons d’Agir – Cours et travaux – 2021 – 447 p.