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Une belle grève de femmes
Analyse
Les Penn sardin, Douarnenez, 1924
Alors que le récit d’un long blocage commence ‒ il durera 46 jours ‒, sous la plume de l’autrice, ressurgissent les figures vivantes de ces « filles d’usine », appelées Penn sardin (« têtes de sardines »), condamnées à la misère et au malheur. Elles travaillent dès 10 ans et souvent jusqu’à la tombe près de 12 à 14 heures, parfois 18 heures, par jour pour une paye minuscule. Et pour cause, ce sont les sardinières les moins bien rémunérées de France : 0,80 franc (3 euros) de l’heure ! À l’époque, comme le rappelle Anne Crignon, la douzaine d’œufs coûte 6,50 francs. Le beurre, 15 francs. À 17 francs le kilo, le café est un produit de luxe. Pour se chauffer, elles glanent les bouts de charbon sur la grève le jour où l’usine du coin y vide le fond de ses cuves. Le plus souvent, elles habitent avec leurs proches une pièce unique, parfois dans des maisons communes avec d’autres familles. On imagine aisément la promiscuité de ces intérieurs pauvres et méticuleusement entretenus.
Dans ces conditions, la vie des Penn sardin s’apparente davantage à de la survie. Et d’avenir hors de la misère, si elles ne se battent pas, il n’y en a ni pour elles ni pour leurs enfants. Alors en 1924, les Penn sardin se mobilisent et réclament un meilleur salaire – 1,25 franc ! Seulement de quoi se nourrir décemment. Au fond, le simple respect de leur droit à la dignité.
Dans leur lutte, face à l’intransigeance patronale et au degré inouï de violences qu’elles devront affronter, les ouvrières recevront le soutien de leur maire, mais aussi des figures politiques et syndicales. Les grévistes iront jusqu’à Paris alerter le ministre du Travail qui ressortira effaré de leur entretien.
L’ensemble de l’ouvrage est émaillé de témoignages, recueillis dans les années 1980 par Anne-Denes Martin¹, sur lesquels s’est appuyée ensuite Anne Crignon pour redonner vie à ce combat presque oublié tout comme aux noms de celles qui l’ont mené. Il ne nous reste aujourd’hui que des listes de prénoms sans patronymes, tels qu’ils étaient donnés alors dans les journaux. Avec cet ouvrage, on devine le désir de l’autrice de lutter contre l’anonymisation des destinées des plus pauvres mais aussi l’envie de nous faire revivre une grève historique, un formidable moment d’engagement et de solidarité.
Chloé Herla
Editions Libertalia – 2023 – 163 p.
1 – Les Ouvrières de la mer : Histoire des sardinières du littoral breton – 1994 – L’Harmattan.