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- Histoire, Femme
Pas pleurer
Description
« Une mauvaise pauvre est une pauvre qui ouvre sa gueule ». Voilà campé le personnage principal, cette femme aujourd’hui nonagénaire, à la mémoire largement grignotée par la maladie d’Alzheimer, qui raconte à sa fille ses souvenirs éblouis de l’insurrection libertaire par laquelle s’ouvrit la guerre de 36, dans certaines régions d’Espagne.
Sa vie toute tracée de fille de quinze ans, à l’air « bien modeste » et pour cette raison appréciée du gros propriétaire local, don Jaime, qui s’apprête à la prendre à son service comme bonne à tout faire, cette vie-là va basculer en quelques jours. L’univers villageois – et celui, intime, de Montse – cadenassés par les repères immuables de ces paysans arrachant leur pitance à la terre aride depuis des générations, sont soudain déstabilisés par les discours du frère de Montse, José. De la ville où il est allé louer ses bras de travailleur saisonnier, il est revenu « avec des grandes phrases » empruntées à Bakounine.
Le monde ancien se lézarde, un monde nouveau surgit avec étonnement, naïveté, appétit, violence aussi, pour ces jeunes embarqués dans des événements qui les dépassent largement, et qui conduiront Montse à émigrer en France.
Le ton du récit est celui d’un dialogue entre mère et fille, dans une langue musclée, tendre, roborative, émaillée des truculentes trouvailles langagières de Montse devenue vieille, et qui n’a jamais réussi à se défaire des tournures espagnoles les plus imagées, greffées allègrement sur une langue française difficilement apprise. La fille, consciente de la lucidité vacillante de sa mère, va vérifier tout ce que cette dernière lui dit et apprend ainsi au fur et à mesure sa propre histoire. Les voix de la mère conteuse, de la fille narratrice, sont étroitement entrelacées à une troisième version des événements : celle de Georges Bernanos, témoin direct de cette période violente, qui dénonce la terreur exercée par les nationaux avec la bénédiction de l’Église contre les « mauvais pauvres »… Georges Bernanos, Lydie Salvayre, sa mère Montse, réunis dans ces pages avec bonheur, apparaissent comme les témoins d’une période où l’histoire romancée éclaire les ombres de la grande Histoire.
Martine Hosselet-Herbignat
Éditions du Seuil – 2014 – 279 pages
Compte rendu publié dans la Revue Quart Monde n° 235 : Petits enfants, grands défis