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La roue ou la noria des saisonniers agricoles
- Migrations, Travail
Description
La noria, c’est cette roue à godets qui puise l’eau en tournant et permet d’irriguer ainsi les plantations dans les pays du Sud. Ici, c’est le flux chaque année de populations de migrants qui viennent dans l’espoir de « gagner leur vie » dans ces immenses plantations de fruits et légumes du Sud de l’Europe. Ce ne sont pas de belles photographies sur papier glacé aux couleurs très sophistiquées, seulement des prises de vue de la réalité vécue par ces travailleurs saisonniers, sur le vif, sans effet, mais de quelle humanité ! Les textes sont répartis en ponctuation du livre pour marquer une réflexion, une analyse, un enregistrement de paroles d’ouvriers ou simplement un constat des conditions dans lesquelles vivent ces travailleurs venus pour fuir le chômage de leurs pays.
« Dans la logique de l’agriculture intensive, il s’agit de conserver à tout prix des parts de marché à l’exportation. Une véritable fuite en avant, quand on sait que les fraises chinoises arrivent actuellement au Maroc en dessous du prix de revient des fraises marocaines… Dans cette mise en concurrence des zones de production au niveau planétaire, libre circulation des produits agricoles oblige, les entrepreneurs agricoles jouent sur les statuts, les nationalités, les ethnies et le genre pour faire évoluer le prix de la main-d’œuvre sans cesse à la baisse ». Tout est résumé dans ce texte sur la région de Huelva à l’ouest de l’Andalousie, première zone européenne de production de fraises, et première importatrice de main-d’œuvre féminine d’Europe de l’Est, pour que ces fraises puissent inonder l’Europe dès la fin de l’hiver…
La logique est la même à El Ejido au sud de l’Andalousie, dans ces immenses serres sous plastique de culture intensive, pour que le consommateur européen puisse « manger de la tomate en décembre et du poivron en janvier… ». Autre envers du décor, la région d’Alméria est en tête du palmarès des zones utilisatrices de pesticides, les pulvérisations sous les serres étant effectuées alors que les ouvriers y travaillent. Mais qui s’intéresse aux effets à long terme des expositions répétées à ces produits chimiques ? Ils font partie des « coûts cachés » de l’agrochimie en pleine expansion.
La logique est la même dans les Bouches-du-Rhône, zone de production intensive de fruits et légumes, bénéficiant de la plus grande concentration de serres en verre d’Europe à la fin des années 1990. Là, c’est une histoire qui dure depuis plusieurs années : des associations de défense des immigrés dénonçaient déjà en 1976 le sort qui leur était réservé et révélaient en particulier le système des contrats OMI en usage dans cette région : l’Office des Migrations Internationales étant chargé de recruter des saisonniers marocains et tunisiens contre le versement d’une redevance minime par l’employeur, il s’agissait en fait de sous-CDD. Lorsque ces associations se manifestent, les institutions, les employeurs, le préfet, la police, les mairies s’agitent alors un peu, puis tout retombe dans l’oubli et l’exploitation de cette main-d’œuvre très bon marché et pratiquement invisible peut reprendre ! La dernière agitation de ce genre date de mai 2006.
Jean-Pierre Touchard
Association Khiasma – Limitrophe – 2007 – 88 p.