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La Maison du peuple suivi de Compagnons
- Engagement, Vie quotidienne
Description
Dans l’avant-propos Albert Camus avertit : ” La pauvreté… laisse à ceux qui l’ont vécue une intolérance qui supporte mal qu’on parle d’un certain dénuement autrement qu’en connaissance de cause […] Quelques hommes […] ont su trouver le seul langage qui convenait. Voilà pourquoi j’admire et j’aime l’œuvre de Louis Guilloux, qui ne flatte ni ne méprise le peuple dont il parle et qui lui restitue la seule grandeur qu’on ne puisse lui arracher, celle de la vérité”.
Louis Guilloux prend le pli de tout décrire à travers le regard très attentif de l’enfant qu’il était, fils du couple Quéré. Son père, François, cordonnier, après avoir essayé en vain de créer un mouvement ouvrier socialiste, entretient l’espoir d’édifier une Maison du Peuple. Sa mère lui disait : “Il y aurait une grande salle où les enfants joueraient, et des conférences pour les grands et des fêtes”, – “De vrai ?” – “C’est votre père qui le dit”. -“La tête me tournait de joie”.
On pouvait craindre que ce récit prenne l’allure d’un roman à l’eau de rose sur les pauvres : famille laborieuse et méritante, mère courageuse et toujours dévouée, enfants respectueux, père dur au labeur… Il n’en est rien. Camus le précise : “rien n’est plus dangereux qu’un tel sujet qui prête au réalisme facile et à la sentimentalité. Mais la grandeur d’un artiste se mesure aux tentations qu’il a vaincues. Et Guilloux, qui n’idéalise rien, qui peint toujours avec les couleurs les plus justes et les moins crues, sans jamais rechercher l’amertume pour elle-même, a su donner au style les pudeurs de son sujet. Ce ton uni et pur, cette voix un peu sourde qui est celle du souvenir témoignent pour celui qui raconte, vertus de style qui sont aussi celles de l’homme”.
Et Camus insiste : “Guilloux songe presque toujours à la douleur chez les autres, et c’est pourquoi il est, avant tout, le romancier de la douleur”.
C’est aussi un exceptionnel reportage sur l’ambiance de la ville, sur ses rues, sa situation : “il savait, en écoutant le sifflet des locomotives, si le temps serait à la pluie”. Sur les habitants et les “milieux” dont ils font partie, les réflexes de classes auxquelles ils se trouvent assignés. Sur le contrôle des mouvements ouvriers : “la ville avait prêté un local aux ouvriers. Ils ne devaient s’y réunir que pour y discuter de leurs intérêts professionnels”. Sur l’espoir d’un mouvement fraternel : “on leur avait dit que l’Université populaire serait une ‘Maison du Peuple’. Chacun y pourrait venir, chacun y serait attendu”. Sur le bouillonnement populaire qui se faisait jour en cette année 1914 : “Une grève n’était pas chose commune chez nous”. Une manifestation se formait… “une rumeur arriva jusqu’à nous.” Ma mère me souleva dans ses bras : ” Ils viennent !… Vous allez les voir. Ils vont passer sous la fenêtre”. Mais, “la nouvelle courut de bouche en bouche : On a assassiné Jaurès…”
Et enfin sur les moments de pagaille des ordres d’incorporation pour les hommes en âge de combattre. Sur l’angoisse des heures de veille avant le départ pour la guerre…
Jean-Pierre Touchard
Éditions Grasset – Les Cahiers Rouges – 2004 – 224 p.