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- Psychologie, Santé
De la précarité à l’auto-exclusion
Description
Conférence-débat de l’Association Emmaüs à l’École normale supérieure
Jean Furtos, chef de service en psychiatrie, définit d’abord trois niveaux de précarité, la distinguant d’emblée de la pauvreté : une précarité ordinaire, normale en fait lorsque l’on se sent seul par exemple ; une précarité de la modernité, corrélée à la perte des certitudes qu’offraient les promesses des Lumières et de la Raison ; enfin « la précarité actuelle », portée par le capitalisme financier et sa mondialisation des flux d’argents et des informations, et par « l’urgentification du monde » qui favorise « l’atomisation des individus et la perte des solidarités ».
Il aborde ensuite les effets de cette précarité actuelle qui sont en contradiction avec les droits de l’homme ou, au mieux, en sont indépendants, et qui entraînent la perte des confiances : en soi, en autrui, et en l’avenir. La société précaire, sur laquelle on ne peut pas compter, a l’obsession de la perte. A cette souffrance psychique d’origine sociale, il y a trois façons de réagir : l’une de bonne santé, en pensant qu’on peut se débrouiller ou demander de l’aide, une autre d’abandon parce qu’on n’y croit plus, enfin une réaction pathologique en syndrome d’auto-exclusion où, pour survivre, le sujet humain abandonne une partie de sa liberté ; l’exclusion renvoie alors à l’environnement et lui impose le sentiment de ne plus faire partie du groupe des humains. Pour ceux qui ne se sentent pas durablement respectés, une manière de réagir est de « quitter ce monde », de s’auto-aliéner, ce qui peut aller jusqu’au désespoir absolu. Il faut savoir faire la différence entre découragement et dépression.
Jean Furtos décrit ensuite les signes cliniques de l’auto-exclusion : on cherche à anesthésier le corps, puis à émousser ses émotions, et enfin à inhiber en partie sa pensée. Il y a aussi des signes paradoxaux : plus on aide les personnes plus ça va mal, sorte de réaction thérapeutique négative ; il n’y a plus de demande d’aide de leur part. Autres signes : la rupture des liens avec les proches ; souvent, « l’incurie à domicile » (l’appartement devient une poubelle) ; enfin on perd la « bonne honte », le fait de ne pas être sans vergogne. Tous ces signes soulignent la disparition de soi-même, la « congélation du moi ».
« L’antidote de l’exclusion, c’est le respect […] Pour accompagner des gens qui sont dans l’auto-exclusion il faut accepter leurs comportements paradoxaux ». Mais, on a beaucoup de mal à respecter le fait que ces gens se font du mal au lieu de se faire plaisir. Jean Furtos nous rappelle le constat d’un sociologue : « ceux qui font le plus de politique sont ceux qui travaillent dans la clinique psycho sociale, pour voir en première ligne les effets que le monde a sur ceux qui semblent les plus fragiles ». En exemple, les conséquences sur les gens de la loi Dalo qui ne peut créer de logements, alors que sa finalité est d’en fournir. Une politique excluante « c’est pas bon pour la santé ! » nous dit-il, insistant sur le fait que l’auto-exclusion ne touche pas que les pauvres.
Le débat qui suit la conférence soulève de nombreux questionnements. J. Furtos donne ce conseil : « pour ne pas entrer dans le syndrome de l’auto-exclusion, […] savoir dire non à l’urgence, […] se relier au grand temps. » Une intéressante discussion aussi sur le sens des mots : auto-exclusion, anomie, auto-désaffiliation, auto-stigmatisation, syndrome de désocialisation. Dans l’une de ses réponses, J. Furtos affirme : « maintenant nous devons nous demander comment le monde peut-il se procurer une nouvelle organisation sociale qui soit compatible avec les Lumières et le fait que les droits de l’homme ne sont pas une organisation sociale ? »
Jean Furtos est le directeur de la publication Rhizome , bulletin national “santé et précarité” édité par l’Observatoire national des pratiques en santé mentale et précarité (ONSMP), et a notamment publié Les cliniques de la précarité , aux Éditions Masson, en 2008.
Jean-Pierre Touchard
Éditions Rue d’Ulm – La rue ? Parlons-en ! – 2009 – 58 pages.
Cet ouvrage est réédité, en 2023, avec une postface de l’auteur, qui revient sur la perte de confiance qui « vise maintenant, d’une manière majeure, les élites politiques, scientifiques et institutionnelles, les notions même de démocratie et de représentativité ». L’idéal de pureté proposé par le populisme est le « contraire d’une pensée métisse qui puisse tenir les contradictions et produire du nouveau. »
Il décrit un nouveau management du travail « déconnecté de la notion de bel ouvrage, c’est à dire du plaisir de faire son métier parce qu’il présente de l’intérêt et modifie un peu le monde. »
En conclusion :« Il faut savoir faire alliance avec ceux qui souffrent aussi, comme nous, de l’évolution sociale, et ce sans faire la grève de nous-mêmes et de notre engagement dans le monde »