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A qui profitent les actions de développement ?
- Développement, Monde rural, Brésil
Description
La parole confisquée des petits paysans (Nordeste, Brésil)
Sociologue et professeur de sciences économiques et sociales, Eric Durousset a séjourné pendant deux ans (1995-1997) dans l’un des dix États du Nordeste brésilien, la Paraiba, où il a particulièrement étudié le projet d’irrigation Vereda Grande en zone semi-aride. En toile de fond de cet ouvrage : l’histoire récente des politiques de lutte contre la sécheresse dans le contexte tant géographique que social du Nordeste et la description des conditions de vie et de travail des petits paysans de cette région. Au cœur de son argument : l’analyse des avatars, des difficultés, voire des échecs de l’intervention publique en matière d’irrigation.
En fait, ce qui intéresse l’auteur, au-delà du problème de l’eau, c’est « la question de la citoyenneté, c’est-à-dire celle de la place de la société civile et plus particulièrement des couches sociales les moins favorisées, face aux actions de l’État ». Car si au niveau national ou régional (surtout dans les discours politiques) les approches des problématiques du développement sont devenues plus novatrices, vantant les mérites de la participation des populations, « plus on descend dans l’échelle locale, et donc plus on concrétise l’action publique, plus les aspects techniques du projet prennent le dessus et, parallèlement, les propositions d’innovations sociales s’évanouissent ».
Au bout du compte, prévaut la logique des responsables du projet (techniciens et notables locaux), visant la nécessité d’améliorer la production et la productivité pour mieux vendre sur les marchés et accéder à une économie monétaire. Mais seuls quelques rares « agriculteurs émergents » sont en mesure de jouer ce jeu-là. La majorité des petits paysans considère seulement la nécessité primordiale d’obtenir pour leur famille un minimum constant de sécurité alimentaire. On prône en haut lieu la modernisation et la rentabilité de l’agriculture à des gens dont la logique existentielle est celle de la survie. « Le recours à l’irrigation et l’insertion dans le marché impliquent, en premier lieu, que le petit agriculteur acquiert une mentalité rationnelle d’un point de vue économique. En effet, celui-ci doit savoir compter, planifier et adopter une mentalité d’entrepreneur. » Dès lors, faire participer les petits paysans au développement c’est les amener à s’adapter aux propositions qui leur sont faites pour obtenir une culture « optimale », c’est-à-dire pensée en fonction des variations de la demande solvable, celle des agglomérations urbaines mais aussi celle de pays importateurs. Or, les petits paysans, souvent analphabètes, ne sont pas assez organisés entre eux et trop dépendants de l’assistance personnalisée des élus locaux pour contester les choix qu’on veut leur imposer.
Le drame c’est que les cultures de subsistance et les pratiques d’autoconsommation ne sont pas valorisées par les « responsables » du développement. « Planter du maïs et des haricots, ce n’est pas sérieux » dira un maire. Et si la région ne se développe pas comme elle le pourrait, la faute en incombe peut-être au petit paysan, c’est du moins ce que semble penser le responsable de l’irrigation au niveau de l’État de la Paraiba : « Dans le Nordeste, nous avons les meilleures conditions de production du monde. Nous avons plus de trois mille heures de soleil par an. On a donc les moyens de produire trois ou quatre fois par an. Nous avons aussi les meilleures conditions de sol. Mais, le problème est que notre homme n’est pas un professionnel de l’agriculture. »
Daniel Fayard
L’Harmattan – Recherches et documents – Amériques latines – 2001 – 177 p.
Compte rendu publié dans la Revue Quart Monde n° 180 : L’eau, un bien commun.