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14 juillet
- Histoire
Description
Et c’est ce peuple qu’Éric Vuillard nous donne à voir. C’est à lui qu’il donne la parole, qu’il prête sa voix. Plus encore c’est à ce peuple anonyme, sans nom, sans identité, à cette masse, qu’il donne un nom, qu’il donne des noms, leurs noms et leurs prénoms traqués dans les oubliettes de l’histoire, dans les procès-verbaux des policiers et des milices, ou ceux des tribunaux et des commissaires qui tente d’identifier les morts que les fossoyeurs leur consignent. Le rythme est endiablé, le style brillant, on marche avec la foule, on vibre avec elle, on se révolte comme elle contre l’inconscience et la légèreté impensables des riches qui, quelle folie précisément !, se bâtissent des « folies », ces maisons de plaisance, « extravagance d’architecte, outrance princière », d’où ils clament la nécessité de baisser les salaires des ouvriers « qui pourraient bien vivre avec quinze sols plutôt que vingt, qui ont déjà la montre dans le gousset et seront bientôt plus riches (qu’eux) ». Or, le peuple a faim… Cette inconscience n’est pas sans rappeler l’inconscience contemporaine des patrons du CAC 40, et de tant d’autres, qui semblent vivre hors-sol comme le faisait Marie-Antoinette et les élites de son temps. Il faut lire ce livre, absolument. Il nous raconte le 14 juillet 1789, mais il nous raconte aussi ce qui se passera, demain, ou après-demain, si nous ne changeons pas de cap.
Et il le fait d’une manière qui rejoint l’engagement des membres d’ATD Quart Monde depuis sa création, et l’obsession du père Joseph Wresinski : faire sortir les plus pauvres de l’ombre, conter l’histoire du peuple. Il faut lire le chapitre titré « La foule », qui égrène les noms et prénoms de quelques-uns des protagonistes de la prise de la Bastille en une longue litanie républicaine qui s’achève avec « Roger, dont on n’a que le nom, rien que çà, Roger, et de là partir de ces deux misérables syllabes qu’on a tant hélées depuis, dans les zincs, dans toutes les usines de France et de Navarre, du fond du mutisme effrayant des choses écrites, il faut enfin abandonner toute trace, s’absenter des lettres, écarter les archives, mordre le néant et tomber dans le grand baquet où personne n’a plus de nom ». « Il faut écrire ce qu’on ignore », écrit encore Éric Vuillard. Et il a cette phrase définitive : « C’est depuis la foule sans nom qu’il faut envisager les choses ». Oui, il faut lire ce livre, vraiment.
Jean Tonglet
Éditions Actes Sud – 2016 – 200 p
Compte rendu publié dans la Revue Quart Monde n° 241 : Démocratie, droits et responsabilités