
Les Visages d’ATD Quart Monde – Elodie et Vincent Espejo-Lucas : « ATD Quart Monde nous donne la chance de nous exprimer »
A la rencontre des militants qui ont participé, le 16 février 2015, à la rencontre avec François Hollande. Vincent Espejo-Lucas ouvre la série avec sa femme Elodie, également membre active du mouvement à Lyon.
Lorsque la sonnette de la porte d’entrée retentit, Alicia, 3 ans, l’aînée, est tout excitée. Ses parents, Vincent et Elodie, lui ont dit qu’elle devrait attendre l’arrivée de la journaliste pour goûter. Sa sœur Melissa, 1 an, est dans les bras de sa maman. Avec ses murs tapissés de photos de famille, le petit séjour est encombré de jouets. Sur la table, Elodie a disposé des jus de fruits, des parts de marbrés, de fondants au chocolat… Alicia attaque avec appétit.
Vincent Espejo-Lucas, 31 ans, monteur-installateur pour la Ville de Lyon, et Elodie, 26 ans, Atsem (employée municipale aidant l’enseignante, ndlr) en maternelle et actuellement mère au foyer, sont des militants très actifs d’ATD Quart Monde à Lyon. Tous deux font partie du groupe préparant les Universités Populaires. « Nous n’en ratons aucune en principe, soulignent-ils, on y emmène nos filles, l’une et l’autre y sont allées pour la première fois à un mois ». Vincent fait aussi partie du Pôle politique (où l’on débat de questions de société qui intéressent le mouvement, ndlr) pour la région Rhône Alpes et pour la ville de Lyon. Elodie milite avec lui dans le Réseau Ecole. Elle veut aussi relancer les fêtes de Noël.
Lorsque Guillaume Chesnot, du groupe régional, lui a proposé de faire partie de la délégation à l’Elysée, Vincent a aussitôt dit oui – « On n’y allait pas pour pleurer mais pour dire que chacun à son échelle, on essaie d’agir dans sa ville». Il se souvient de son trac grandissant à l’approche de la date – «moi, un petit gars du quartier de La Duchère, aller voir Hollande, c’était impressionnant, même surréaliste ». Le jour J, les trois participants de Lyon – outre Vincent, Doris Mary et Guillaume Chesnot – montent à Paris. Direction : le siège de Montreuil. « On a fait une répétition générale, poursuit Vincent, on s’est assis selon le plan de table prévu à l’Elysée. Chacun a lu son discours. Ca m’a bien aidé». Il n’en tire aucune gloriole personnelle : «je ne l’ai pas fait pour moi mais pour le mouvement. C’est une sacrée reconnaissance. »
Vincent et Elodie sont tombés tout petits dans l’eau du bain ATD. « Ma grand-mère y militait, explique Vincent, elle m’a inscrit au Sappel (mouvement chrétien proche d’ATD Quart Monde). C’est tout naturellement que j’ai rejoint le mouvement. Je suis devenu actif en 2009, quand on a formé le groupe Jeunes à Lyon ». Elodie est venue par les bibliothèques de rue : « dans mon quartier de Mas du taureau, à Vaulx-en-Velin, c’était le mercredi. Mais très peu d’enfants y allaient. Alors ils ont fait du porte à porte, jusque chez nous. Ma mère nous y a envoyés tous les cinq. Et puis elle s’est engagée. Petits, on distribuait des tracts pour la Journée du 17 octobre ».
C’est dans le cadre du groupe Jeunes que Vincent et Elodie se sont connus. Issus tous deux de quartiers difficiles, ils ont un autre point commun : de mauvais souvenirs d’école. Vincent voulait être éducateur spécialisé : « quand je suis arrivé au lycée de la Croix Rousse venant de mon collège de quartier, j’ai dû m’accrocher et j’ai réussi à avoir le bac Génie mécanique. Mais quand j’ai voulu ensuite faire une école d’éducateur, on m’a ri au nez. Je me suis alors inscrit en BTS Génie mécanique, mais ça ne me plaisait vraiment pas et j’ai décroché ». Elodie, elle, a triplé son CP : « j’étais sourde et on s’en est aperçu tard ». Au collège, on l’expédie en CAP Employé technique de collectivités alors qu’elle voulait faire Petite Enfance. Heureusement, très tôt, elle a rencontré des membres d’ATD Quart Monde – Sylvie et Claire – qui l’ont accompagnée durant sa scolarité. Cela lui a permis d’aller en internat et de finir le collège, puis de faire un second CAP, celui de Petite enfance dont elle rêvait. Aujourd’hui Elodie s’inquiète de la fermeture annoncée, pour raisons budgétaires, de cet internat municipal – « il y avait de la mixité ».
Le couple habite un petit T4 de 60 mètres carrés dans un quartier relativement tranquille de Vaulx-en-Velin, loin des barres à perte de vue où ils ont grandi. Pour leurs enfants, ils nourrissent de grands espoirs notamment grâce à l’action d’ATD Quart Monde. « Vu du milieu d’où on vient, on est des gens qu’on met de côté, déclare Vincent, ATD Quart Monde est l’une des rares associations qui nous donne la chance de nous exprimer. Depuis qu’on a les enfants, on a encore plus envie de se battre. Pour que ceux qu’on n’entend jamais soient entendus, pour que nos enfants aient une vie meilleure, que l’ascenseur social reparte et que la roue tourne ».
Elodie parle de valeurs : « ATD Quart Monde, c’est une belle association avec de belles valeurs – aider mais sans donner et repartir tout de suite comme font d’autres, faire avec les gens et non pas pour. J’ai l’espoir que mes filles, qui vont baigner dedans, vont les partager et seront à l’écoute des gens ».
Véronique Soulé