Une centaine de personnes ont assisté à la Journée mondiale du refus de la misère à Caen, réunies par de nombreuses associations dont ATD Quart Monde.
« À force d’avoir encaissé tellement d’échecs et d’humiliations, on en finit par se sentir indignes. On veut comprendre pourquoi c’est toujours comme ça, pourquoi on dirait qu’il n’y a pas d’échappatoire ? Le 17 octobre, ça doit donner du courage pour les autres, montrer que la misère, ce n’est pas une fatalité. »
Ces mots sont tirés de l’échange entre Marie-Thérèse, militante Quart Monde, et Justine, engagée à l’ASTI, une association de soutien aux personnes migrantes.
À Caen, sur une place du centre ville, plusieurs panneaux d’exposition avaient été installés. Chacun d’eux portait sur un droit fondamental : logement, vie familiale, santé, travail décent, éducation, et mettait en regard des récits, des données chiffrées, des textes de loi et des propositions pour arriver à ce que la vie des personnes qui vivent la pauvreté soit conforme au droit de tous.
Au fil de l’après midi, s’appuyant par intermittences sur des déclamations préparées par des comédiens, des membres des associations* qui avaient préparé cette journée ont suscité des échanges avec les passants. Pour permettre aux personnes intéressées de poursuivre la réflexion, un livret comportant l’ensemble des textes de l’exposition leur était remis.
Aux panneaux sont venus s’ajouter des expressions spontanées, qu’il était possible d’afficher. « Beaucoup ne peuvent pas avoir de sécu ou de mutuelle. On est anxieux, on a peur des professionnels qui nous jugent ; inquiets des personnes qui ne comprennent pas notre vie. Moi je dis qu’il faut avoir plus de dialogues. » « Beaucoup de gens sont à la rue. Ils dorment dehors avec leurs enfants ou seuls. Ils appellent le 115 et jamais de place. Ces gens ont quitté leur pays pour conflits familiaux, la guerre et perte d’un emploi. L’expulsion c’est une grande souffrance pour ceux qui le vivent. Il faut changer le monde et faire ce qui est juste. » « Toujours et en tout lieu, éliminer la pauvreté ce n’est pas un acte de charité. C’est la protection d’un droit humain fondamental, le droit à la dignité et à une vie décente. »
À 18h, le silence s’est fait. Après que des choristes aient interprété un premier chant, la sono a diffusé l’enregistrement du texte prononcé par Joseph Wresinski le 17 octobre 1987 : « Millions et millions d’enfants, de femmes et de pères qui sont morts de misère et de faim, dont nous sommes les héritiers. C’est de votre vie dont je témoigne. »
Puis, des personnes exilées, réunies par la Cimade et l’ASTI, et des militants Quart Monde, ont pris la parole. « Nous témoignons de personnes vivant dans des logements indignes, dans des chambres très petites pour quatre à cinq personnes, sans possibilité de cuisiner, avec des toilettes qui ne ferment pas. (…) Nous témoignons de personnes vivant sous tentes, dans des squats et même dormant dans des voitures ou dans la rue. (…) Nous témoignons de la honte ressentie quand nous ne pouvons pas acheter pour nos enfants les livres demandés par l’école, quand nous sommes obligés d’aller chercher de la nourriture qui parfois est périmée, quand à la pharmacie on nous refuse les médicaments prescrits parce que non remboursés par l’Aide Médicale de l’État. (…) Nous témoignons de l’humiliation des personnes qui attendent des journées entières à la porte de la Préfecture. (…) Nous témoignons du courage et de la persévérance de toutes ces personnes qui espèrent trouver leur place ici et faire de toutes les diversités une richesse pour un monde meilleur. »
« Savez vous ce que cela provoque chez nous ? Cela induit un manque de confiance en soi, mais aussi dans les autres et dans les institutions sensées nous soutenir. Cela nous pousse (…) à nous renfermer sur nous-mêmes, à avoir la honte en permanence comme compagnie. Ça nous fait vivre avec la peur, celle qui détruit la vie, qui transforme nos vies en noirceur, (…) cette noirceur qui finit par éteindre la lumière qui nous habite. (…) Accepteriez vous de ne compter pour rien ? Accepteriez vous de n’être qu’un numéro ? Accepteriez vous d’être humiliés, moqués, déconsidérés lors de vos multiples démarches ? Accepteriez vous d’être réduit à la dépendance ? Accepteriez vous d’être réduit à l’inutilité ? Nous pensons que non, vous n’accepteriez pas d’être traités ainsi. Mais nous pensons que vous pouvez accepter, avec nous, que tout cela s’arrête. (…) En l’état de la situation de la pauvreté, qui continue d’augmenter, on a de plus en plus d’inquiétude. On choisit quoi? De prendre les moyens de mener la lutte contre la grande pauvreté, afin de l’éradiquer ? Ou on choisit la lutte contre les pauvres ? Nous, nous avons choisi. »
Une petite centaine de personnes ont pu entendre ces prises de parole, et sont reparties, confortées dans leur conviction que, comme y aspiraient Marie-Thérèse et Marie-Justine, « la misère n’est pas une fatalité ».
(*) ATD Quart Monde, Habitat et Humanisme Calvados, La Cimade Calvados, Le Secours Catholique Caen et l’ASTI 14
