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Les vacances, un sujet très inégalitaire, selon le sociologue Jean Viard

Pour le sociologue Jean Viard, la démocratisation des vacances ne progresse plus. Directeur de recherche CNRS au centre de recherches politiques de Sciences Po, le CEVIPOF, Jean Viard (« Le triomphe d’une utopie », éd. de L’aube, 2015) explique la signification des vacances et déplore l’absence de politique en la matière.

Où en sommes-nous des vacances pour tous ?

Nous sommes arrivés à 60% des gens partant en vacances. Un chiffre qui monte à 76% pour ceux partant une année sur deux, notamment de milieux populaires. On a assisté à l’après-guerre à une spectaculaire démocratisation qui a progressé jusqu’au fil des années 80. Depuis, on a atteint un palier.

Si l’on dépassait les 80%, on serait bien en matière de démocratisation. Il manque 15 à 20 points. En grande majorité des personnes empêchées de partir pour des raisons économiques mais pas uniquement. Il y a aussi la question du code culturel. Les jeunes femmes seules avec enfants renoncent ainsi à partir. Il y a aussi un gros problème avec la jeunesse issue de l’immigration qui ne quitte pas son quartier.

Nous ne sommes pas égaux ?

En France un tiers des personnes ne bouge pas pendant les vacances. Un tiers part une fois l’été – 15 jours les bonnes années, 10 jours les autres. Un tiers enfin possède une résidence secondaire, va au ski et part quasiment une fois par mois. C’est très inégalitaire.

Pourquoi est-ce si inégalitaire ?

Parce qu’il n’y a pas de politique publique. La puissance publique met de l’argent sur l’école, le logement, la santé… Mais pour tout ce qui relève du temps libre, elle n’en met pas. D’où ces inégalités flagrantes, parce que la redistribution est quasi inexistante.

Pourquoi n’y a-t-il pas de politique ?

La raison première est que les élites sociales ont du mal à comprendre que certains ne partent pas en vacances. Par exemple, à la rentrée, les enseignants demandent souvent comme premier devoir aux élèves de raconter leurs vacances. Or, dans certains quartiers, 30 à 50% ne partent pas du tout. Les enfants racontent alors ce qu’ils ont vu à la télé. Les élites sociales pensent que les vacances, c’est aussi naturel que manger du pain ou avoir le permis.

La signification des vacances est la même pour tous ?

Largement. Les vacances sont aujourd’hui associées au voyage : on part en vacances. Les vacances à la maison n’en sont pas. Pour se débrancher, il faut changer de lieu. Pour cela, la vraie question n’est pas le droit aux vacances mais le droit à partir, y compris pour ceux qui ne travaillent pas – chômeurs, inactifs, retraités… Toutes les sociétés ont eu des règles pour se mettre à distance de leur quotidien. C’est essentiel pour se construire.

C’est aussi un temps de reconstruction ?

Les vacances restent surtout le grand moment de l’affection. 70% des gens partent en famille. L’un des succès des Center parks est qu’ils accueillent trois générations. Le coeur des vacances, c’est l’affection et le dépaysement.

Quelque 80% des femmes sont salariées aujourd’hui. Quand est-on tranquillement avec ses enfants ? Quand les familles font-elles un bon repas au calme ? Pas pendant la semaine. Les moments de convivialité sont rares. D’où le rôle essentiel des week-ends et des vacances.

Le droit aux vacances doit-il être reconnu ?

Je ne vois pas la raison. Je pense plutôt qu’il faudrait associer le temps libre à la culture avec un grand ministère du Temps libre et de la Culture. Certains ont un temps libre qui les enrichit, d’autres non. Durant les vacances de février, 4% des gens vont au ski. Pour les enfants dont les parents travaillent, c’est 15 jours de télé intensifs. Les écarts de qualité de temps libre sont considérables. Il ne suffit pas de dire : on part ou on ne part pas, mais il faudrait se demander : on fait quoi ?

Pourquoi cet arrêt de la démocratisation ?

Lorsque l’on a décentralisé en 1981, on a oublié le temps libre. Résultat : personne n’en est responsable. On a délaissé la question, convaincu que ce n’était pas un sujet politique. Ce qui est faux. Plus la société a eu du temps libre, plus le politique s’est enfermé dans le social et le rapport au travail – or, on travaille en moyenne 10% de notre temps. Les politiques ont du mal à penser que la société ne leur ressemble pas.

Et l’avenir ?

Il faudrait inventer des vacances populaires collaboratives, offrir des opportunités peu coûteuses aux personnes très modestes. Il pourrait y avoir des sites de locations bon marché. Parmi les 11% de Français ayant des résidences secondaires, certains seraient intéressés de louer pas cher à certaines périodes. Le tourisme social revient aujourd’hui plus cher que bien des systèmes que l’on pourrait mettre en place. Pour les plus défavorisés, il faut d’abord leur tendre la main afin qu’ils acquièrent la culture du voyage. Et là, le rôle d’ATD Quart Monde est essentiel. Mais la fois d’après, ils peuvent se débrouiller seuls.

Recueilli par VS