Entrez votre recherche ci-dessous :

Expulsés du musée

Samedi 26 janvier, un couple et leur enfant de douze ans, accompagnés d’un allié du Mouvement ATD Quart Monde, ont été expulsés du Musée d’Orsay parce qu’ils portaient sur eux les marques de la misère, jugées dérangeantes par quelques autres visiteurs. Cet outrage relaté dans la presse a indigné beaucoup de personnes, mais a aussi provoqué d’autres humiliations. La pauvreté n’est pas qu’une apparence, c’est aussi une souffrance au cœur de la société. Comment en guérir ?

Cité musiqueLes parents D. et Grégory, allié d’ATD Quart Monde, avaient décidé d’aller visiter le musée ce jour-là. Grégory avait proposé de les inviter au restaurant, car c’est un luxe qui leur est interdit et le restaurant du musée est en soi une magnifique œuvre d’art. Ils y ont été reçus par un personnel attentionné et prévenant et ont ensuite déambulé dans les salles et les allées, en commençant par les statues qui intéressaient particulièrement le jeune fils D. Plus tard, dans une salle d’exposition, un gardien a apostrophé Grégory, demandant qu’ils quittent le musée car quelques visiteurs s’étaient plaints de leur odeur. Il a refusé. « Notre tenue était décente, nous ne gênions personne », explique-t-il. Quelques minutes plus tard, quatre agents de sécurité leur ont intimé sans ménagement l’ordre de partir.

Sur le chemin du retour, poursuit Grégory, les parents se sont excusés. Ils trouvaient que cela était normal. « Je ne sais plus alors ce que j’ai trouvé le plus terrible, dit-il. Qu’un grand musée fasse expulser par quatre vigiles un enfant de 12 ans et ses parents vivant dans la pauvreté, ou que ses parents trouvent cela normal, tellement habitués déjà à être exclus de tout ? »

Grégory nous a demandé comment réagir. Nous avons souhaité que l’équipe ATD Quart Monde de Paris transmette son témoignage aux responsables du musée d’Orsay et leur demande ce que le musée comptait faire face à cette expulsion.

Grégory dînait dimanche soir avec des amis, dont une amie journaliste au Figaro. Celle-ci a décidé d’écrire un article qui a provoqué énormément d’émotion, de réactions de soutien et aussi de rejet. Nous avons immédiatement été sollicités par les médias. Nous avons expliqué qu’il arrivait souvent que les gens soient rejetés par les autres à cause des stigmates de la misère et que cela renforçait l’exclusion sociale.

Au début, la famille D. a voulu rassurer Grégory et lui a dit que tout cela était normal. Puis, après deux jours, elle a dit que non, en fait, ce n’était pas normal. Quand elle a appris la décision du Mouvement d’engager une action en justice, elle l’a soutenue. Ce qu’elle demande maintenant avant tout, c’est que soit reconnu le fait qu’il n’est pas normal d’agir ainsi.
Pour notre part, nous pensons qu’il ne faut pas que cet enfant grandisse en pensant qu’il est acceptable d’être ainsi chassé et de voir ses parents humiliés.

À y réfléchir avec ceux qui connaissent bien la famille, nous sommes très étonnés de cette réaction de quelques visiteurs se disant incommodés. Nous savons que dans l’immeuble où habitent les D., l’odeur de certains logements dégradés imprègne très vite les vêtements, mais pas plus. Et nous sommes convaincus que pour une gêne analogue, d’autres n’auraient pas été traités de la sorte. D’autres signes extérieurs de misère ont déclenché cette malheureuse réaction en chaîne.

Et la médiatisation de cette affaire a entraîné des allégations sur l’odeur et sur l’hygiène qui sont des accusations et des humiliations supplémentaires pour la famille, et qui sont absolument fausses.

Le travail sur « la misère est violence – rompre le silence – chercher la paix » qu’ATD Quart Monde a entrepris ces trois dernières années nous a appris que les personnes confrontées aux grandes violences qui humilient n’ont plus que le silence. Mais alors, la violence n’est ni vue, ni entendue.

Pour rompre le silence, il faut d’abord reconnaître ouvertement que cette violence peut exister.

Voilà pourquoi notre conseil d’administration a décidé jeudi 31 janvier d’engager une action juridique sous des formes encore à déterminer.

Le 7 février, nous avons saisi le Défenseur des droits afin d’établir les faits et d’aider à comprendre les responsabilités de chacun.

Beaucoup de citoyens nous écrivent leur soutien. D’autres sont choqués.

Le but de notre action n’est pas de stigmatiser le musée d’Orsay, ni les gardiens, ni qui que ce soit. Nous saluons les efforts des musées et lieux culturels pour s’ouvrir à tous. Mais il y a encore à faire pour que chacun s’accepte. La discrimination sociale est une réalité que notre pays devrait condamner aussi fermement que d’autres discriminations, et aussi fermement que d’autres pays le font déjà.

Et c’est bien à chacun d’entre nous de s’interroger sur la discrimination à laquelle il pousse les organismes publics, les écoles, etc., par la pression qu’il exerce parfois pour que certains soient exclus. Car dans cette histoire, parents, enfant, accompagnateur, agents de sécurité, musée… : nous payons tous ensemble le prix de la stigmatisation dont sont victimes les personnes confrontées à la grande pauvreté.

Merci de partager avec nous vos réflexions. N’hésitez pas à dialoguer, sans angélisme, dans la vérité, et dans le respect, sur ce site et autour de vous.

Bruno Tardieu et Bert Luyts, Délégation nationale d’ATD Quart Monde en France

Suite à l’évènement survenu au musée d’Orsay, la Commission nationale consultative des Droits de l’homme (CNCDH) s’est autosaisie le 5 février de la question des discriminations fondées sur l’origine sociale. Elle rendra prochainement un avis sur le sujet. ->http://www.cncdh.fr/

Le défenseur des droits , saisi par ATD Quart Monde, ouvre une enquête. Source->http://www.defenseurdesdroits.fr/

À lire aussi