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Les arrêts de la Cour Européenne de Strasbourg : le but ultime du placement est d’unir à nouveau la famille

Comme nous l’expliquions dans Feuille de route en décembre 2011, les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme à Strasbourg s’imposent aux tribunaux français. Elles sont peu connues, c’est pourquoi il faut les diffuser et les invoquer auprès des avocats et des juges. Pour la Cour de Strasbourg, le placement d’un enfant est une violation du droit de vivre en famille qui ne peut être justifiée que s’il est prévu par la loi du pays, s’il poursuit un but légitime et s’il est nécessaire à la réalisation de ce but. La première condition est bien sûr remplie dans la plupart des pays d’Europe (en France, par l’article 375 du Code Civil).
Légitime et nécessaire

La condition de légitimité signifie que le but du placement doit être de protéger l’enfant. La troisième condition signifie que le placement doit être la seule mesure possible pour préserver l’intérêt de l’enfant. La Cour exige que le placement d’un enfant soit justifié par l’incapacité de ses parents à s’occuper de lui en raison de leur état moral et physique ou de leur comportement violent, et non en raison de problèmes matériels qu’ils rencontrent, tels qu’un logement insalubre ou un manque de revenus (voir l’arrêt Wallova dans Feuille de route n°412 de décembre 2011). Dans ces derniers cas, il appartient à l’État de faire en sorte que ces problèmes matériels n’existent plus, afin que la famille puisse garder l’enfant.

Agir en fonction du but ultime du placement

Le but ultime du placement doit être d’unir à nouveau le parent et l’enfant. Il doit donc être organisé de façon à éviter les situations irréversibles. Sa durée et sa prolongation doivent être décidées avec attention. Cela signifie aussi que le placement ne met pas fin aux relations familiales naturelles. Pour la Cour, une interruption totale des contacts de l’enfant avec ses parents ne doit se justifier que par des circonstances exceptionnelles. On ne peut simplement évoquer le manque de coopération des parents ou la résistance de l’enfant à les rencontrer. En effet, on peut comprendre que, d’une part, les parents n’acceptant pas facilement la séparation, l’idée d’une coopération entière de leur part est illusoire et que, d’autre part, l’enfant, éloigné peu à peu de ses parents, développe des stratégies adaptées à son nouveau milieu de vie.

En France, l’article 311-9 du Code de l’action sociale et des familles déclare que les services de l’Aide sociale à l’enfance « doivent rechercher une solution évitant la séparation [des familles] ou, si une telle solution ne peut être trouvée, établir, de concert avec les personnes accueillies, un projet propre à permettre leur réunion dans les plus brefs délais, et assurer le suivi de ce projet jusqu’à ce qu’il aboutisse. » L’article 223-1 précise que les services « établissent un document intitulé « projet pour l’enfant » qui précise les actions qui seront menées auprès de l’enfant, des parents et de son environnement, le rôle des parents, les objectifs visés et les délais de mise en œuvre… Ce document est transmis au juge. »

« L’angoisse du placement autoritaire peut miner une famille et casser des parents… Une fois le placement décidé, les parents conservent certains droits, mais doivent-ils pour autant prouver qu’ils sont capables de s’occuper de leurs enfants avant de les récupérer ? Et bien non. À partir du moment où une mesure de placement est décidée, il incombe aux autorités de prendre toutes les mesures pour veiller, pour orienter ce placement vers une réunion ultime de la famille. » Françoise Tulkens, juge à la Cour de Strasbourg, dans Dossiers et documents de la Revue Quart Monde n°11, « Le droit de vivre en famille », 2002.

L’arrêt Olsson : protéger la fratrie en cas de placement

Par cet arrêt, la Cour de Strasbourg a jugé que l’éloignement des frères et sœurs entre eux et de leurs parents était une violation de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme qui établit le droit à une vie familiale. Cet éloignement auquel se sont ajoutées des restrictions des droits de visite des parents sont contraires au but ultime d’unir à nouveau la famille. Ils ne doivent se justifier que par des circonstances exceptionnelles.
M. et Mme Olsson habitent en Suède. Ils ont eu trois enfants : Stefan en 1971, Helena en 1976 et Thomas en 1979. Tous trois sont placés en 1980 car ils souffrent de problèmes de retard de langage importants. Les juges suédois considèrent que leurs parents ne satisfont pas à leurs besoins alimentaires et médicaux.

Stefan est placé dans le village de ses parents, puis à une centaine de kilomètres après que M. et Mme Olsson l’ont enlevé plusieurs fois. Helena et Thomas sont placés dans deux familles d’accueil distantes de 637 et 590 km du domicile des parents. Les démarches juridiques de ces derniers pour récupérer leurs enfants ou mettre en place des droits de visites réguliers échouent, car les autorités estiment que les parents sont hostiles et inaptes à élever les enfants.

M. et Mme Olsson saisissent la Cour de Strasbourg en 1983, estimant que l’article 8 de la Convention est violé. En réponse, la Cour considère que le placement des enfants ne viole pas l’article 8, dans la mesure où il est destiné à sauvegarder le développement de Stefan, Helena et Thomas, qui était gravement menacé : ils avaient d’importants retards de langage et ne bénéficiaient pas de tous les soins médicaux nécessaires.

En revanche, la Cour considère qu’il y a eu violation de l’article 8 par le fait que le placement dans des lieux différents et éloignés de leurs parents a nui à la possibilité de contacts entre eux et est allé à l’encontre du but ultime d’unir à nouveau la famille. Cet éloignement était surtout justifié par des considérations administratives (il n’y avait pas de place pour Helena et Thomas dans le même foyer). Il n’était pas justifié par des circonstances exceptionnelles (comme, par exemple, s’il s’était agi de sauvegarder la santé mentale et physique des enfants dans le cas où ils ne seraient pas arrivés à se supporter entre eux).
La Cour ne s’est pas prononcée sur le placement de Stefan à 100 km de ses parents. Cependant, on pourrait considérer que cet éloignement était nécessaire, dans la mesure où ses parents l’avaient auparavant plusieurs fois enlevé d’un foyer plus proche. En 1987, il fut mis fin à son placement, compte tenu de son développement positif et de la compréhension accrue de ses besoins par ses parents.

Avec la collaboration de Juliette Thullier, Jérémy Ianni et Laurence d’Harcourt