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La Banque Mondiale et le FMI s’intéressent aux dimensions cachées de la pauvreté

Le 15 février dernier, des délégations d’ATD Quart Monde de Bolivie, de Tanzanie, de Grande-Bretagne et des États-Unis, qui ont travaillé sur la recherche participative des dimensions cachées de la pauvreté en collaboration avec l’Université d’Oxford, se sont retrouvées à Washington au siège de la Banque mondiale pour témoigner de l’urgence à repenser les politiques de lutte contre la pauvreté.

« Que savez-vous de la pauvreté au delà des problèmes de revenus ? ». Le ton est donné : Maryann Broxton, militante américaine d’ATD Quart Monde est à la tribune. Elle s’adresse aux experts de la Banque Mondiale et du FMI (Fonds monétaire international) qui sont dans la salle. Maryann Broxton a participé à la recherche sur les dimensions cachées de la pauvreté menée en 2019 : « les politiques de lutte contre la pauvreté sont construites sans aucun contact avec les personnes pauvres ». Durant toute la matinée, les interventions des universitaires, praticiens et personnes ayant une expérience directe de la pauvreté viennent se compléter et se renforcer. En Tanzanie, Bolivie, Grande-Bretagne, partout les mêmes mots : il est question de la déshumanisation liée à la pauvreté, des contributions des plus pauvres ignorées par la société, de dépossession du pouvoir d’agir…

Esther Duflo, prix Nobel d’économie, participe à cette conférence. En visio depuis Paris, la chercheuse, professeur au MIT (Massachussetts Institute of technology) et au Collège de France, graphiques à l’appui, fait une démonstration : « il faut changer le discours sur la pauvreté, or on n’a pas le soutien politique… « . L’économiste ne mâche pas ses mots : « les inégalités dans le monde continuent car les programmes de réduction de la pauvreté n’ont pas pris en compte les personnes directement concernées ». Or, selon Esther Duflo, pour lutter contre la pauvreté il faut inclure dans les politiques publiques « le respect » (éviter les programmes punitifs qui peuvent exclure les plus vulnérables), « la confiance » (arrêter de prendre les pauvres pour des profiteurs), « et l’inclusion » (pour éviter le non accès aux droits) : un soutien direct au credo d’ATD Quart Monde dont elle salue la campagne contre les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté

Les experts internationaux tentent de justifier leur logique macro économique : « il n’est pas facile de trouver des indicateurs pour incarner et évaluer toutes ces dimensions de la pauvreté », concède une chercheuse de la Banque mondiale, en évoquant la nécessité d’un meilleur dialogue avec les personnes concernées pour concevoir les politiques.

Donner aux gens le rôle d’acteurs de changement

La responsabilité de la Banque mondiale et du FMI n’est pas éludée : « je suis frappé par le nombre d’erreurs que l’on aurait pu éviter si l’on avait associé dés le départ les plus pauvres dans l’élaboration des politiques », lance Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains. « C’est difficile et coûteux d’impliquer directement les gens mais les avantages sont énormes. »

Pour Martin Kalisa, membre de la délégation générale d’ATD Quart Monde, il n’y a plus de temps à perdre. Il invite les institutions financières internationales à changer d’approche. « Pour concevoir des politiques d’éradication efficaces, il faut des fondations solides, sinon ça ne marchera pas, quel que soit l’argent dépensé » et pour cela « il faut mesurer la pauvreté dans toutes ses dimensions, complexes et dissimulées ». Martin Kalisa espère un engagement concret au sein du FMI et de la Banque mondiale, afin d’identifier des porteurs de projets à co-construire, via de nouveaux outils, comme l’IDEEP. (voir encadré ci-dessous)

Le message est-il entendu par les experts de la Banque mondiale et du FMI ? La directrice du département de la stratégie des politiques et de l’évaluation du FMI, Ceyla Pazarbasioglu, reconnaît en conclusion : « nous avons un vrai défi à relever : il nous faut mener un projet pilote car nous n’avons plus le choix face aux différents chocs qui touchent tout particulièrement les plus pauvres ».

Première victoire concrète: la Banque mondiale a demandé à ATD Quart Monde de réfléchir à une formation au Croisement des savoirs pour son personnel dans des projets de recherche. Christine Muratet

 

Un nouvel outil d’élaboration et d’évaluation des politiques publiques

Xavier Godinot, directeur de recherche à ATD Quart Monde, et Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains, ont présenté au cours de cette journée un outil d’évaluation des politiques, élaboré avec un collectif de praticiens, d’experts de différentes institutions et de personnes en situation de pauvreté : l’IDEEP, « Outil inclusif et délibératif pour l’élaboration et l’évaluation des programmes et des politiques ».

« Cet outil a pour but de traduire en actions l’étude internationale sur les dimensions cachées de la pauvreté, élaborée à partir de 2019 avec l’Université d’Oxford. L’IDEEP est destiné non pas à remplacer les outils d’évaluation existant, mais à les compléter. » Car pour ATD Quart Monde, les politiques en direction des plus pauvres doivent être élaborées et évaluées avec eux. « Une simple consultation des personnes concernées n’est pas suffisante, explique Xavier Godinot, il faut une approche délibérative ».

Pour sa construction cet outil s’est appuyé sur la pratique du Croisement des savoirs, en France notamment, avec un travail sur l’évaluation du RSA.

« Cet outil doit aujourd’hui être testé, il faut le faire connaître aux institutions publiques, mais aussi aux ONG. Il doit nous permettre de transformer la recherche sur les dimensions cachées en projets concrets. » La balle est désormais dans le camp des institutions financières internationales pour imaginer des projets pilotes et mettre en œuvre ce nouvel instrument au service de l’éradication de la misère. Une version française de l’IDEEP est en cours de traduction.

Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde d’avril 2024.

Photo : Événement à la Banque mondiale à Washington le 15 février 2024 © Andrés Sanín