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La COP 21 vue de l’intérieur (30 novembre – 2 décembre)

Le Mouvement international ATD Quart Monde a en ce moment un accès privilégié aux négociations de la COP21, en tant qu’observateur. Nos membres présents au Bourget, Quyen Tran et Geneviève Tardieu, nous racontent leur vision de cet événement hors du commun.

Lire aussi La COP 21 vue de l’intérieur (3 décembre)

QuyenTranCOP21

30 novembre

Laurent Fabius ouvre la COP 21 avec brio, très à son affaire avec son marteau de président, il tape avec joie à chaque fois qu’un point est réglé. Il rappelle les trois conditions pour garantir un succès à cet COP21 :

  • mobiliser les chefs d’État et de gouvernement,
  • rassembler et obtenir des engagements de la part des acteurs non gouvernementaux
  • parvenir à un accord universel, ambitieux, sur le climat qui soit différencié, juste, durable, dynamique, équilibré, juridiquement contraignant et qui garantisse le maintien de la hausse de la température en dessous de 2°C.

Les différents chefs d’état et de gouvernement reprennent ces qualificatifs sous des angles différents et n’ont pas la même signification pour tous. L’engagement des chefs d’état semble donner une atmosphère favorable , mais certains observateurs chagrins rappellent que Obama avait aussi fait fort impression au début des débats à Copenhague en 2009. Cette fois ci il a dit en substance que nous sommes la première génération à ressentir le changement climatique et la dernière à pouvoir agir dessus. Le Canada avec son nouveau gouvernement a une position bien plus favorable que ses prédécesseurs…

EntréeCOP21

2°C, c’est déjà trop

Ce sont les négociateurs qui font le travail pour l’instant. Il doivent réécrire le texte appelé ADP «  Draft agreement and draft decision on workstreams 1 and 2 of the Ad Hoc Working Group of the Durban Platform for Enhanced Action » pour samedi 5 dec. Les points d’achoppement sont nombreux. Pour la majorité des pays du Sud, 2°C est inacceptable car pas assez exigeant. Dans le texte il y a 6 formulations allant de : – de 1,5 °C jusqu’à aussi près que possible de 2°C.
La question de Loss and damage, pertes et dommages avec des compensations pécuniaires pour les pays touchés.
Le financement de ces pays pour les dédommager est un enjeu critique. Trouver un mécanisme juste semble compliqué.

Le risque : l’aide au développement à la mode

On peut craindre que les financements des pays du Nord dédiés à l’aide au développement se transforme en fonds dédiés au climat. On a ainsi pu entendre dans un couloir une réflexion venant du Vietnam se plaignant que les fonds alloués sont sujets à des modes successives, comme le Sida auparavant, puis la question du genre et maintenant le climat ?

Un texte vraiment contraignant ?

La question du caractère contraignant du texte est en jeu. Pour Kyoto les réductions d’émissions étaient obligatoires mais les sanctions reportées et les pays gros émetteurs n’ont pas ratifié ou sont sortis du protocole.
Pour l’accord de Paris, la réduction des émissions est formulée volontairement par chaque état et vérifiée régulièrement selon un mécanisme transparent. Les États-Unis, par exemple, ne peuvent signer un accord contraignant sans la ratification du congrès, ce qui ne se fera pas car il est majoritairement républicain.
La contrainte va se jouer à l’intérieur de chaque article de l’accord. D’où l’importance de négocier chaque mot… « shall » n’est pas « should » ni « invited to ».
Le texte sera contraignant s’il contient l’obligation des états d’augmenter tous les 5 ans leurs engagements en allant vers le cap de zéro carbone en 2050 et l’obligation de contributions financières, y compris avec des financements publics, pour les états impactés par les changements climatiques.
L’obligation concernerait la mise en œuvre de politiques de transition énergétique, mais pas les objectifs de réduction d’émission qui seraient seulement en annexe. Les différents pays sembleraient d’accord sur ce point. Ce serait un cas de figure acceptable par les USA. Ce serait donc une obligation de moyens plutôt qu’une obligation de résultats. … à suivre.

 

Stand Coordination Sud
Stand de Coordination Sud dans l’espace Génération climat.

A quoi ça sert d’être observateur ?

Nous sommes en lien avec un groupe d’ONG avec le statut d’observateurs comme nous, qui cherchent à défendre la mention des Droits de l’homme dans le texte. Leur travail depuis des mois voire deux ans, a conduit à l’article 2 dans lequel les Droits de l’homme sont mentionnés. Il faut continuer à se battre pour que la nouvelle version du texte ne supprime pas cette mention.

De façon générale, les ONG peuvent faire du lobbying auprès des négociateurs des différents pays. Les ONG doivent connaître les positions des différents pays et chercher un « champion » qui va pousser telle ou telle formulation. Le champion des Droits de l’Homme à la COP21 ? Les Philippines, un paradoxe ! Les ONG doivent aussi pressentir les risques et savoir qui pourrait vouloir supprimer l’article 2.2 abordant les Droits de l’homme. Il faut connaître toutes les prises de positions des 196 pays… et avoir le contact avec les négociateurs.

Malheureusement, il n’est pas fait allusion aux populations les plus pauvres dans cet article. Il paraît que c’est le résultat de discussions antérieures internes aux ONG auxquelles nous n’avons pas participé. On va essayer de comprendre ce qui s’est passé et pourquoi. Il nous reste à soutenir les Droits de l’homme. Tout le monde tient tellement à l’accord que des négociations intenses pour baisser les ambitions sont à craindre.


 

2 décembre

Ce matin, la séance plénière porte, entre autres, sur des organes « subsidiaires » à la COP chargés de fournir avis scientifiques, technologiques et méthodologiques.

Lutte pour l’environnement ou contre la pauvreté, faut-il choisir ?

En septembre, l’équipe des négociateurs français a rencontré les ONG françaises au ministère de l’Environnement et de l’Ecologie. Nous avons fait savoir que nous regrettions que le projet de texte n’exprime pas l’ambition de lutte contre la pauvreté et la grande pauvreté, manquant ainsi la cohérence avec les ODD. La délégation française nous avait alors répondu qu’il ne faudrait pas surcharger la Conférence climat avec des objectifs hors Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. En contradiction patente avec les discours officiels de la France qui lient lutte contre la pauvreté et changement climatique ! Peut-être plus étonnant encore, c’est d’entendre le Prince de Monaco réclamer un changement fondamental du système économique qui a conduit au réchauffement climatique.

Nous avons suivi un side event sur la thème de la résilience avec une succession d’orateurs. Ces side events (littéralement : événements parallèles) ont pour but d’informer négociateurs et ONG, de faire connaître de nouvelles approches mais sans influence directe sur les travaux. Ségolène Royal y a plaidé pour les océans. Avec humour, lorsqu’elle a dit que les océans étaient dans cet état car ils ne sont pas habités, il n’y a pas d’élus, pas de mains à serrer ! L’orateur suivant parlait des « Resilient Cities ». Avec un fonds de 5 billion dollars de la Rockfeller foundation… Ca semblait attirant : renforcer les communautés, renforcer les liens et les connexions des communautés marginalisées. Puis il a dit que la Nouvelle Orléans était le modèle et là j’ai arrêté d’y croire.

Nous avons aussi entendu Mary Robinson, fondatrice de la fondation du même nom, qui a beaucoup poussé la notion de Justice climatique. « Quiconque avec un sens minimal de l’équité ou de  la morale devrait se sentir obligé d’agir. » Elle place la question dans sa dimension morale : lorsque les gens sont touchés par le changement climatique, ils sont dépassés, ils perdent leurs moyens, leur dignité. Il faut un accord fort, et au-delà de l’accord, il faut agir y compris le secteur privé et la société civile. Elle a conclu en disant qu’il fallait savoir ce qu’était la toile de fond des négociations : ce sont des communautés vulnérables dans les pays vulnérables. Après son allocution, une vidéo sur Thule et l’île de Tuvalu, a été projetée. Un homme disait qu’à Thule la neige arrivait d’habitude en octobre, puis en novembre et maintenant en décembre et la terreur mêlée de tristesse se lisait sur son visage. A Tuvalu, une femme disait qu’elle épargnait de l’argent pour que ses enfants puissent quitter l’île. Elle, elle ne part pas, elle veut mourir sur place.

IntergenerationalEquity

Mardi, nous avions suivi aussi un side event organisé par les jeunes sur le thème de la solidarité intergénérationelle. C’est un concept nouveau et fort intéressant. Des jeunes très brillants de grandes universités anglosaxonnes démontraient que les économistes ne comptaient pas à leur juste valeur les dommages du changement climatique. Et c’est vrai. « Stop discounting lives of the future generations. » Le panel était composé de 6 ou 7 d’entre eux et d’une femme Inuit du Groenland et une femme du Pakistan. On retrouvait là le même déséquilibre majeur que dans la COP officielle avec une large prédominance des Occidentaux. La jeune Pakistanaise l’a fait remarquer mais pour elle, le seul repère était d’appartenir au Global South. Du coup elle sous-estimait totalement la présence de la femme du Groenland, qui pourtant représentait un peuple en énorme souffrance. La femme Inuit disait :  » Notre premier combat n’est pas celui du réchauffement climatique mais celui pour notre terre. Nous devons combattre les entreprises privées qui volent notre terre, ce qui nous empêche de rendre hommage à nos ancêtres, ce qui pousse les jeunes à faire de mauvais choix, qui les pousse au suicide. » Nous avons approché ces jeunes pour leur demander de prendre en compte les jeunes défavorisés du monde entier dans leur plaidoyer. Les jeunes arriveront-ils à s’organiser afin de ne pas reproduire les schémas de pouvoirs injustes qui ont conduit la planète à son épuisement ?

Les ONG se déguisent en agents secrets

Nos collègues défenseurs des Droits de l’Homme nous transmettent les nouvelles des spin off group sur le préambule et l’article 2 et surtout 2.2. Les plus hardis d’entre eux ont réussi à rentrer dans les salles. Au départ ils ont été exclus puis le spin off group s’est réuni ailleurs, mais se donnant des infos par téléphone certains ont pu tout de même rentrer dans la nouvelle salle. C’est un engagement physique autant que moral et intellectuel que ces négociations !

Des ONG proposent de jeûner tous les 1er du mois. A la COP21, ils ont protesté avec des plateaux vides.
Des ONG proposent de jeûner tous les 1er du mois. A la COP21, ils ont protesté avec des plateaux vides.

Des questions de stratégie

Déterminer la stratégie mercredi avait été rude. Le préambule donne le ton au texte. La mention des Droits de l’Homme à ce niveau est intéressante mais moins contraignante que dans l’article 2.2 Purpose, qui énonce l’objectif du document. Faut-il se résoudre à accepter uniquement les Droits de l’Homme dans le préambule pour qu’il y ait moins de réticences des États ? Faut-il rendre encore plus concis la formulation de l’article 2.2 pour avoir une chance de le conserver, ce qui serait plus favorable que d’avoir seulement le préambule ? Le groupe Syndicats et celui de Femme et genre étaient opposés à cette dernière proposition pour répondre à la suggestion des Philippines qui demandent une version raccourcie de l’article 2.2 . Peut-on garder les mêmes concepts mais avec moins de mots ? Est-ce la longueur du paragraphe qui compte ou est-ce que c’est la force des concepts énoncés ?

Les militants doivent-ils eux mêmes sabrer leur travail ou doivent ils faire confiance à un État pour le sauvegarder ? Ou doivent- ils tenir les Etats responsables si les Droits de l’Homme sortent du texte ? Il ne faut pas donner un mauvais signal et faire croire que l’on a changé de position, ce qui risque d’arriver si on donne une version raccourcie.

Finalement chaque constituency, chaque groupe a donné une version raccourcie du segment de phrase qu’il défend (les femmes, les autochtones, les jeunes) mais seulement au représentant des Philippines, au cas où il aurait à lâcher du lest. Chacun a eu 45 minutes pour donner son texte raccourci. Et les gens l’ont fait !

Les États ont en gros trois positions : contre, pour, ou bien vont suivre le flot… Ils ne voudront pas se démarquer des autres états, même s’ils sont soit pour, soit contre. Une jeune femme canadienne a mis la délégation canadienne au courant et apparemment elle a fait des merveilles… Bravo Gina. À suivre.

Une jeune femme d'une ONG représentant le groupe des populations autochtones s'exprime en plénière. Il a 8 groupes différents pour des milliers d'ONG et seule une personne par groupe peut s'exprimer.
Une jeune femme d’une ONG représentant le groupe des populations autochtones s’exprime en plénière. Il y a 8 groupes différents pour des milliers d’ONG et seule une personne par groupe peut s’exprimer.