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La COP 21 vue de l’intérieur (3 décembre)

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3 décembre 2015

Ce matin à 8 heures, un nouveau texte a été diffusé, reprenant les avancées des travaux pour chaque partie du texte. Le texte fait 38 pages au lieu des 54 initialement. Il y donc des progrès dans les travaux, mais des progrès lents. La mention des Droits de l’homme est toujours là. Le Canada a fait une déclaration forte en cette faveur. L’article 2 est donc préservé.

Cependant cette mention est toujours en danger. Le groupe d’ONG en faveur des Droits de l’homme organise une conférence de presse pour communiquer avec la presse internationale l’importance du sujet. Ici, l’espace des médias est énorme et les conférences se succèdent toutes les demi-heures, dans plusieurs salles simultanément, avec un thème spécifique concernant le texte de l’accord, clairement développé à chaque fois. C’est aussi une source d’informations considérable pour nous.

La conférence initiée par le groupe des Droits humains donne la parole successivement à chaque groupe spécifique. Bridget Burns du groupe « femmes et genre » pointe les inégalités : les femmes possèdent seulement de 2% des terres sur la planète ; les femmes et les enfants qui ont constitué 80% des personnes tuées en Asie dans le grand tsunami de 2004. Elle pointe le fait que la photo des chefs d’États faite lundi montrait la majorité écrasante des hommes au pouvoir — « Blue power suit » : le pouvoir du « complet veston ». Pour que l’accord apporte vraiment un changement, il faut que l’égalité des genres soit inscrite dans le texte.

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Monica Camacho (représentante d’ONG environnementales) plaide pour la conservation de la forêt tropicale qui est à la fois le gage d’un système écologique sain, un piège à carbone et le milieu de vie de nombreuses populations. Elle souhaite que la référence aux droits humains se trouve dans la partie opérationnelle du texte et non dans le préambule qui indique seulement un principe.

Kelly Stone (ActionAid USA) plaide pour la sécurité alimentaire. Elle pointe aussi le fait que les politiques d’adaptation au changement climatique risquent de pénaliser davantage les populations qui sont déjà vulnérables. Elle évoque un homme qui a fait le trajet depuis son pays, le Niger, pour venir à la COP alors qu’il n’est pas accrédité, mais parce qu’il n’en peut plus de la sécheresse et des inondations successives.

Sharan Burrow (SG de la CSI/ITUC) représentante du groupe des syndicats plaide pour Zéro carbone et Zéro pauvreté. Elle réclame la participation des personnes. Il ne peut y avoir d’accord si les personnes ne sont pas spécifiquement mentionnées, en particulier dans l’article 3 sur « Adaptation ». L’adaptation de l’économie pour la transition vers les énergies renouvelables est un gros enjeu pour les syndicats.

Andrea Carmen, représentante du groupe Peuples autochtones rappelle que c’est une question de survie pour eux et souhaite que l’accord soit contraignant. Elle dit astucieusement que les hommes et les femmes font aussi partie de la nature ! Il est question de préserver la nature, mais la préservation des humains ne semble pas une priorité.

Dans le temps des questions, une journaliste demande à connaître la position respectives des différents pays. Il lui est répondu qu’un des moyens d’action est de faire pression sur la réputation car les pays tiennent à leur image au niveau international. A titre d’exemple, pour continuer à faire pression publiquement sur les Etats, le réseau Climate Action Network (CAN) décerne publiquement chaque jour un « Fossil Award ». C’est une mention déshonorante pour sanctionner moralement un pays qui fait blocage dans les négociations. Les orateurs de cette conférence étaient des oratrices à 100 %! Seule l’introduction a été faite par un homme.

Dans une autre conférence, une organisation de type watchdog, Corporate Accountability International, aborde la question de la place du secteur privé et des industriels dans la COP. Si le secteur privé peut contribuer à des solutions techniques, il ne faut pas qu’il soit décideur. Ce sont bien les politiques qui doivent prendre en main la question du climat. Le fait que la COP soit partiellement financée par des entreprises rend suspicieuse la journaliste d’Afrique du Sud. « This is a fraud » dit-elle.

Des thèmes transversaux sont abordés dans les autres conférences de la journée.

L’une d’elle, où interviennent cinq coalitions représentant des communautés directement impactées, aborde le sujet des « Pertes et dommages / « Loss and damage ». Pour beaucoup, l’article 5 du projet d’accord doit prévoir des mécanismes de compensation pour les dommages dus au climat. La contribution des États dans ce domaine doit être établie selon le principe de « responsabilités communes mais différenciées » en fonction des capacités de chacun des pays et des responsabilités entre eux. La question est de savoir comment les apprécier. Il faudrait des critères objectifs. Les intervenantes à cette conférence de presse disent que les pays impactés et vulnérables craignent que les pays développés (c’est le terme officiellement employé en anglais) se soustraient à leurs obligations. Elles disent qu’il serait plus juste de parler de « réparation » au lieu de compensation comme habituellement. Les pertes ne sont pas seulement pécuniaires et économiques, mais elles coûtent la vie, forcent les peuples à quitter leurs terres et leur style de vie spécifique.

Une autre conférence, organisée par WWF (World Wild Fund) aborde deux notions également transversales, Equity et Differentiation en anglais, pour lesquelles les positions sont très opposées. Cela est dû à la classification des pays signataires de la Convention cadre des NU sur les changements climatiques (CCNUCC) établie en 1992. Il y a ceux de « L’Annexe I » de la Convention, comprenant les pays membres de l’OCDE ajoutés plus tard des pays « en transition sur le plan économique » (Russie, États baltes et d’Europe centrale et orientale). « L’Annexe II » comprend seulement les pays industrialisés sans ceux ajoutés. Les pays dits « Non-annexe I » comprend : les pays en développement et des groupes de pays « vulnérables » aux impacts du changement climatique. Il est paradoxal voir dans cette dernière liste un groupe vulnérable constitué des pays producteurs de pétrole au prétexte que leur adaptation à l’économie durable aura un impact sur eux. On comprend mieux pourquoi la révision d’une telle classification a été reportée d’année après année, COP après COP, malgré l’évolution de la situation économique des pays.

Pour WWF, une façon de résoudre ou concilier les positions opposées sur l’équité et la différentiation est de considérer les capacités qu’a chacun des pays en réalité et les responsabilités à partager entre les pays. Et ce à la fois dans les efforts de Réduction des émissions de gaz à effet de serre (volet Atténuation) et les engagements à coopérer et à aider en matière de pertes et dommages (volet Adaptation). Certains États prennent déjà cette voie, notamment dans les INDC (Les contributions prévues déterminées au niveau national) remis avant la COP21, où ils ont indiqué des cibles à réaliser inconditionnellement et celles réalisables sous conditions telles que : soutien financier, transfert de technologies, etc. Cela vaut la peine de visiter www.climate.paris pour en savoir davantage.

La question de la conditionnalité ou de l’inconditionnalité des engagements a des implications politiques et de souveraineté. Hors de cette table ronde, nous apprenons par d’autres ONG que si certains pays sont contre la mention des droits de l’homme dans le texte de l’Accord, c’est parce qu’ils ont peur que les DH soient utilisés comme une condition nécessaire pour qu’ils reçoivent de l’aide. D’autres au contraire pensent que la référence aux DH est indispensable pour que les réparations et l’adaptation soient pratiquées dans le plein respect des personnes.

L’organisation matérielle de la négociation a une grande importance sur la qualité des débats. Pendant notre réunion du groupe des DH, un négociateur d’Afrique du Sud vient nous voir pour demander de briefer des négociateurs francophones car ils n’arrivent pas à suivre tous les débats en anglais. Ils seraient favorables s’ils étaient mieux informés. Un arrangement est fait pour les aider.

Le nombre des membres de chaque délégation est important. Plus la délégation est importante, plus il lui est possible de prendre part aux « spin off groups », qui sont nombreux à se dérouler en même temps. Cela désavantage les petites délégations bien entendu.

Dans la soirée, à 19h, le point des travaux est fait en plénière retransmise par vidéos pour les observateurs dans une immense salle. Tous les spin off groups rapportent leurs travaux. Ils ont dit en substance que chacun travaille dur, est de bonne foi, mais le travail est lent.

Un nouveau texte doit être produit demain matin après un travail de toute la nuit par les administrateurs pour faire la compilation des avancées et produire un nouveau texte.

Encore une fois, l’Afrique du Sud au nom du groupe des 77 attire l’attention sur la façon de conduire la négociation. Les règles de n’ont pas été les mêmes dans tous les groupes. Dans certains, le facilitateur du spin off exigeait que le négociateur demande l’aval de son chef de délégation pour prendre une décision. C’est sous-estimer le pouvoir de décision du négociateur et obliger le chef de délégation à courir de salle en salle. Un dernier moment de suspens quand l’Afrique du Sud demande une suspension de séance pour réunir le groupe des 77 sur les procédures. Le président lui demande combien de temps sera nécessaire. Le groupe des 77 est conduit par l’ambassadrice

Nozipho Mxakato Diseko, d’Afrique du Sud. Elle a une importance considérable dans les débats. Elle répond 20 minutes au plus. Au bout d’une bonne demi-heure, le G 77 revient en demandant que soit produit demain un texte compilé et un texte reprenant les changements pour les mettre clairement en évidence. Ceci est accordé.

Quyen Tran et Geneviève Tardieu, volontaires permanents du mouvement ATD Quart Monde

Photo conférence de presse du groupe informel des ONG Droits Humains, « Pas de capture du climat par les entreprises » (ph. Geneviève Tardieu)