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Rencontres du refus de la misère – « Les politiques d’insertion des jeunes sont orientées uniquement vers l’accès à l’emploi »

Dans le cadre de la Journée mondiale du refus de la misère, ATD Quart Monde organisait samedi 18 septembre une table ronde intitulée « Jeunes et pouvoir d’agir : comment accéder à l’autonomie en situation de pauvreté ? »

Le « revenu d’engagement pour les jeunes », que le gouvernement doit annoncer dans les prochaines semaines, devrait bientôt rejoindre les dispositifs censés permettre l’autonomisation des jeunes. Mais les jeunes en situation de pauvreté accèdent-ils vraiment à l’autonomie grâce à ces politiques publiques ? C’est autour de cette question que se sont rassemblés Karine Bugeja, directrice de la Mission locale et de la Maison de l’Emploi de Lille et alliée d’ATD Quart Monde, Léa Lima, sociologue spécialiste des politiques sociales de jeunesse, et Emmanuel Vaillant, fondateur de la Zone d’Expression Prioritaire.

« Les politiques d’insertion des jeunes sont orientées quasi uniquement vers l’accès à l’emploi, considéré comme le sésame pour l’autonomie des jeunes. Cela pose problème car on remarque dans les statistiques qu’il y a un tas de jeunes qui ont un emploi et qui sont pourtant obligés de vivre encore chez leurs parents et dont l’indépendance est tout à fait relative d’un point de vue financier », rappelle Léa Lima en préambule. « On est dans une logique d’accès aux droits très axée sur l’employabilité. Quand on travaille la mobilité d’un jeune, c’est pour qu’il puisse postuler à un emploi. Quand on travaille le logement, c’est pour qu’il soit suffisamment stable pour pouvoir tenir dans un emploi. À aucun moment, on n’interroge le désir du jeune sur la manière dont il voit l’autonomie, ce que cela signifie pour lui », regrette également Karine Bugeja.

Léa Lima souligne par ailleurs que « les formes de solidarité familiale » sont oubliées de ces politiques. De nombreux jeunes allocataire de la Garantie jeunes la mettent ainsi « dans le pot commun de la famille ». Paradoxalement, les jeunes les plus aidés par leurs familles sont aussi « les mieux aidés par l’État », ajoute la sociologue. « Une année de Garantie jeunes coûte 6 000 euros à l’État, pour des jeunes très défavorisés, sortis très tôt de l’école et souvent très peu aidés par leurs familles. L’État n’a donc pas investi énormément dans leur éducation, alors qu’une année de classe préparatoire coûte 16 000 euros à l’État », décrit-elle.

De nombreux freins

Objectifs chiffrés, indicateurs de performance, contrats d’engagement… Les intervenants à la table ronde s’accordent en outre pour constater que les dispositifs mis en œuvre pour les jeunes comportent de nombreux freins. « À aucun moment on ne s’interroge sur les conditions de travail, sur la politique de l’offre, sur les recruteurs et leur manière de faire un pas vers l’ouverture à des profils différents, d’augmenter l’attractivité de leurs emplois du point de vue des salaires, des conditions de travail… Tout cela est complètement nié », constate Léa Lima. Pour elle, ces politiques publiques ont pour but de « lutter contre l’assistanat, pour que les jeunes ne soient plus dépendants de l’État et de la solidarité publique », mais elles les rendent « encore plus dépendants par rapport au marché du travail ».

Karine Bugeja pointe également des freins empêchant les jeunes les plus précaires d’accéder à ces dispositifs. « On est beaucoup dans une logique de statut, il y a des critères d’éligibilité », comme le statut du « NEET » pour les jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation. « Un jeune aujourd’hui auto-entrepreneur chez Deliveroo, qui travaille quelques heures par semaine, ne peut pas accéder à la Garantie jeunes sans rompre son statut d’auto-entrepreneur. Il doit donc se priver de ses revenus et attendre un mois et demi, voire deux mois, avant de toucher sa première allocation. On l’empêche ainsi d’accéder à un dispositif qui doit l’accompagner vers l’autonomie », détaille-t-elle, en précisant que cette situation est « en cours d’assouplissement ».

La durée des dispositifs constitue par ailleurs une limite. « Le Pacéa (parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie) dure deux ans. Mais il y a des jeunes qui ont besoin de beaucoup plus. Pour un jeune qui était à la rue depuis un an, avoir deux ans pour retrouver un emploi, c’est court. Il y a toute une phase de stabilisation de sa vie, d’acquisition de compétences… », souligne la directrice de la Mission locale de Lille. La logique d’engagement présente dans ces dispositifs n’est en outre « pas très pertinente », selon elle, car « pour certains, cette démarche est difficile, même s’ils veulent avancer. Quand on est dans une très grande pauvreté, déjà pousser une porte c’est compliqué ».

Pour Karine Bugeja, les moyens accordés à la réussite de ces dispositifs sont également fondamentaux. « La Garantie jeunes, c’est un conseiller pour 50 jeunes et c’est ce que l’on appelle un accompagnement intensif. 1 600 euros par an pour l’accompagnement d’un jeune, ce n’est pas beaucoup », estime-t-elle, d’autant plus que l’objectif du gouvernement était de doubler le nombre de jeunes bénéficiaires en 2021.

« Effet d’enfermement »

Mais au-delà de la question de l’emploi et de la formation, les jeunes ont besoin « de se faire entendre, pas simplement de donner leur avis, mais de raconter leur expérience de vie », constate Emmanuel Vaillant. « Ce qu’ils ont à raconter nous donne à voir des réalités sociales peu ou mal connues. » Dans les ateliers animés par la Zone d’Expression Prioritaire, « les jeunes sont surpris qu’on aille vers eux. Ils ont totalement intégré le fait qu’ils n’ont rien à raconter. Il y a un effet d’enfermement très fort, donc il faut trouver la porte d’entrée », explique-t-il. Léa Lima ajoute quant à elle que les jeunes en difficulté fréquentant les institutions telles que les Missions locales « ont un récit de soi un peu obligé, stratégique, pour pouvoir entrer dans des dispositifs, disposer de telle aide... ».

La Zone d’Expression Prioritaire a ainsi pour objectif de « ne pas les enfermer dans une posture un peu victimaire, de raconter aussi des histoires où ils sont valorisés, des réalités tangibles, très concrètes », explique Emmanuel Vaillant. Et de conclure : « À partir du moment ou on a ce pouvoir d’expression, on a aussi ce pouvoir d’action ».

 

Retrouvez le programme des autres tables rondes organisées dans le cadre de la Journée mondiale du refus de la misère.