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« On a plus à apprendre d’eux que le contraire »

Après une rencontre avec des volontaires permanents d’ATD Quart Monde, l’auteur Krrist Mirror a animé un atelier de BD avec des jeunes issus de la communauté des gens du voyage. Un exemple de culture partagée que le mouvement a mise à l’honneur cette année à l’occasion du 17 octobre, Journée mondiale de lutte contre la misère.

La chaleur est étouffante en cet après-midi de juillet. L’appartement parisien de Christian Guyot, dit Kkrist Mirror, est calfeutré pour garder la fraîcheur. Les murs sont tapissés de planches de BD. Sur le bureau, de nombreux pinceaux de toutes tailles. Dans un coin de la pièce, un meuble avec une impressionnante collection de vinyles. Un fond de jazz rompt le silence de l’atelier.

Woodstock punk

Originaire de Saumur, dans le Maine-et-Loire, le jeune Christian chope le virus du dessin en lisant les piles de comics américains à 1 franc que son père lui ramenait. Ces petits formats de BD éveillent sa créativité.
Après 5 ans d’études aux Beaux-arts et à la fac d’art plastique de Tours, il commence à publier ses dessins dans Libération ou Rockn’folk et ses BD dans Metal Hurlant, le magazine BD de science-fiction emblématique des années 1970-1980.
Le mouvement punk, post-mai 68, influence largement l’œuvre de Christian qui rencontre les grands noms de la BD de l’époque. En 1977, pendant le festival de Mont de Marsan, le « Woodstock punk » comme il le décrit, Christian adopte le pseudonyme de Kkrist Mirror en référence à son prénom et au produit Mirror qu’il utilisait pour briquer sa moto.

Krrist Mirror avec son livre et celui d'ATD Quart Monde qui l'a inspiré
Krrist Mirror avec son livre et celui d’ATD Quart Monde qui l’a inspiré

Joseph Wresinski

Au début des années 1980, il rencontre le père d’une copine à Pierrelaye, dans le Val-d’Oise, où est situé le centre international d’ATD Quart Monde, qui connaît Joseph Wresinski, le fondateur du Mouvement. L’homme lui offre le livre photo 30 ans d’histoire de l’enfant du Quart Monde par la photographie (Editions science et avenir). L’ouvrage est un choc émotionnel pour Kkrist Mirror qui va s’en inspirer directement pour ses dessins.
En 1982, il publie Akromégalie, une BD de science fiction dont les protagonistes sont des enfants. Dans la foulée, il écrit un second volet qui ne sera jamais publié mais dont les dessins trouvent leur inspiration dans le livre photo d’ATD Quart Monde.
Christian raconte avec un sourire « les heures passées au photocopieur de la gare » pour faire des copies du livre qui lui servait à des collages pour sa BD.
L’artiste se retrouve dans les idées et les combats d’ATD Quart Monde. « Les gens pauvres, on en parlait jamais », confie-t-il. Lorsqu’il se marie, il demande même au prêtre de lire un texte de Joseph Wresinski.
Après avoir découvert l’existence du camp de concentration de Montreuil-Bellay, à moins de vingt kilomètres de Saumur, Kkrist Mirror commence à travailler sur les populations tsiganes et roms qui formaient l’essentiel de la population de ce camp. « J’ai mis le doigt dans cette thématique et trente ans plus tard j’y suis encore ». En découlent plusieurs BD sur le sujet dont Tsiganes : 1940-1945, le camp de concentration de Montreuil-Bellay en 2008 (Emmanuel Proust Ed.).

« Partager quelque chose »

Début 2016, Kkrist Mirror anime un atelier de dessin au collège Copernic de Montmagny dans le Val-d’Oise. Cet atelier fait partie d’un projet à l’initiative d’un groupe d’enseignants du collège.
A l’occasion d’une session, il rencontre Damien et Christophe, volontaires permanents d’ATD Quart Monde dans le Val-d’Oise. Cette rencontre débouche sur un atelier de création de BD avec des jeunes issus de la communauté des gens du voyage .
« Le but était de rentrer en contact avec eux et de partager quelque chose », explique Kkrist Mirror. Il raconte avec amusement la première séance qui s’est déroulée dehors, entre les caravanes. « Ce fut une belle pagaille, se souvient-il, mais cela a donné de très bons résultats. Certains ont même réussi à finir leur BD dès cette première séance ». Il décrit des enfants « autodidactes » dont certains ont une « grande sensibilité artistique ».

Mondes différents

Pendant trois mois, chaque lundi après-midi, l’auteur a partagé des moments privilégiés avec ces jeunes – une dizaine, âgés de 5 à 15 ans, participaient en moyenne. Les séances suivantes se sont déroulées dans une ferme pédagogique proche du campement. « C’était plus intéressant car il n’y avait pas les parents », précise Kkrist Mirror.
La notion de rencontre entre des mondes très différents est d’ailleurs très présente dans ses BD. C’est tout l’intérêt de ces ateliers qui permettent de partager des expériences et de créer de la confiance.
Kkrist Mirror se demande encore « comment ils peuvent nous faire confiance avec la façon dont on les traite ». « On a plus à apprendre d’eux que le contraire », souligne-t-il.
Kkrist Mirror, qui ressort de temps en temps le livre de photos d’ATD Quart Monde, tombe sur des vieilles notes intercalées entre deux pages. Il continue de dessiner et de raconter les gens du voyage. « Je crois à l’art en tant que moyen de survie et de vie tout court », conclut-il.

Geoffrey Renimel