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Lutter contre la pauvreté passe par la réforme de l’ONU

Point de vue paru dans le journal Le Monde du 17 septembre 2005

La pauvreté, l’extension de la précarité et les inégalités dans le monde sont des fléaux inacceptables. Alors que la planète dispose de toutes les ressources et de tous les moyens pour éradiquer l’extrême pauvreté, des milliards d’enfants, de femmes et d’hommes continuent de vivre dans la misère et sont privés de leurs droits fondamentaux. Cela a des conséquences sur l’ensemble des travailleurs, dans les pays du Sud comme ceux du Nord.

En septembre 2000, au Sommet du millénaire, les 191 Etats membres des Nations unies ont adopté la déclaration du millénaire, dans laquelle ils se sont engagés, notamment, « à ne ménager aucun effort pour délivrer nos semblables ­ hommes, femmes et enfants ­ de la misère, phénomène abject et déshumanisant qui touche actuellement plus d’un milliard de personnes. »

Au-delà des effets d’annonce, les allégements de dette promis lors de la réunion du G8, en juillet ­ s’ils se concrétisent effectivement ­, ne concerneront que 18 pays (pour un effort financier de l’ordre de 1,5 milliard de dollars par an) et resteront soumis à de très lourdes conditions. Or, 62 pays pauvres ont impérativement besoin d’une annulation totale de leurs créances pour avoir une chance d’atteindre les Objectifs du millénaire.

L’ONU chiffre l’augmentation nécessaire de l’aide publique au développement à 50 milliards de dollars dès 2006, puis à 90 milliards en 2010. Les gouvernements des huit pays les plus industrialisés ne se sont engagés qu’à l’accroître de… 50 milliards à l’horizon 2010. Ils n’ont pris aucun engagement significatif en matière de règles commerciales équitables, de fiscalité internationale ou de contrôle des centres financiers offshore, qui constituent un maillon-clé de la chaîne de la corruption et de l’évasion fiscale.

Nos quatre organisations, qui participent à la campagne « 2005, plus d’excuses », sont convaincues que nous avons plus que jamais besoin de faire converger nos forces vers un même objectif : susciter un élan de solidarité des citoyens du monde et obtenir des gouvernements, du Nord et du Sud, qu’ils traduisent leurs promesses en actions décisives. Notre vision commune de la lutte contre la pauvreté, c’est la reconnaissance de la place centrale de la dignité de l’être humain et de ses droits dans tout processus de transformation sociale.

Nous ne pouvons nous contenter de politiques de lutte contre la pauvreté qui prétendent en venir à bout uniquement à coup de mesures compensatoires ou de filets sociaux, en traitant les symptômes et non les causes, sans la participation des populations défavorisées elles-mêmes. Nous récusons la conception du développement qui fait primer les logiques de rentabilité et de croissance économique sur la liberté et la dignité des personnes et des peuples.

Sinon, les plus vulnérables resteront derrière le développement, partie des 50 % non pris en compte par les Objectifs du millénaire. En démocratie, on doit prendre l’avancée du plus faible comme mesure de l’avancée de tous. Au cœur de ces politiques se trouve le droit à un travail décent et productif, c’est-à-dire assorti d’une protection sociale respectueuse des normes fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui garantit une rémunération équitable et des conditions d’hygiène et de sécurité appropriées.

Dans les pays en développement comme dans les plus riches, chômage, sous-emploi, politiques de formation professionnelle inadéquates et bas salaires sont à l’origine des situations de pauvreté. Elles sont exacerbées par la précarité, les atteintes aux droits des travailleurs, les inégalités entre femmes et hommes, l’exclusion sociale, les discriminations ou encore l’absence de transfert de revenus par le biais de la protection sociale.

Pour briser le cycle de la pauvreté, il faut s’attaquer aux mécanismes qui président à la création et à la répartition des richesses. Le travail décent, l’amélioration quantitative et qualitative de l’emploi sont alors une fin en soi et un moyen de réaliser ces objectifs. Les politiques d’emploi et de marché du travail doivent être partie intégrante des stratégies nationales et internationales de réduction de la pauvreté.

L’éradication de la pauvreté passe aussi par la maîtrise, par les populations, des biens publics fondamentaux : santé, éducation, eau, culture, énergie. Le droit à la propriété intellectuelle ne saurait prévaloir sur celui de la santé. La lutte contre la pauvreté et les inégalités impose une régulation des marchés et des politiques publiques ambitieuses (locales, nationales, régionales et mondiales) qui organisent la satisfaction des besoins fondamentaux en garantissant l’accès de toutes et de tous aux services de base.

La réforme du système des Nations unies et la gestion de l’état du monde, actuellement en discussion, sont également des enjeux fondamentaux de la lutte contre la pauvreté. Assurer réellement la suprématie de la dignité et des droits fondamentaux aurait des implications concrètes et significatives.

Les entreprises multinationales sont aujourd’hui des acteurs extrêmement puissants, pour certaines, bien plus que de nombreux Etats. Il est urgent de mettre en œuvre une véritable politique internationale pour encadrer la responsabilité sociale et environnementale de ces sociétés et réguler leurs activités, en imposant le respect des normes de l’OIT et en rendant juridiquement contraignants les principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques à leur intention.

Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale sont des institutions spécialisées des Nations unies. Elles doivent respecter ces normes internationales et promouvoir leur mise en œuvre, de même que celle de l’ensemble des droits de l’homme. Ces changements ne s’obtiendront pas sans pression des sociétés civiles sur leur gouvernement. Démocratie et développement, défense des populations civiles contre le terrorisme et lutte contre la pauvreté : aucun de ces objectifs ne sera atteint sans les autres, dans ce monde « global » ou les sécurités civile et sociale sont indivisibles.

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par Jean-Pierre Dubois, Gustave Massiah, Pierre Saglio, Bernard Thibault

Jean-Pierre Dubois est président de la Ligue des droits de l’homme (LDH).
Gustave Massiah est président du Centre de recherche et d’information pour le développement (CRID).
Pierre Saglio est président du mouvement ATD Quart Monde.
Bernard Thibault est secrétaire général de la CGT.