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La journée du réseau école du 16.01.2010

Bruno TARDIEU : « Je voudrais faire d’abord l’historique de ce réseau, très rapidement : le réseau Wresinski école. Pourquoi réseau Wresinski école. Vous savez que c’est le nom de notre fondateur, mais c’est plus que ça. Les réseaux ont été créés au moment du rapport Wresinski au Conseil Economique et Sociale (CES) en 1987. Wresinski s’est bagarré pour avoir un siège au CES. Même dans le Mouvement on se demandait pourquoi il voulait obtenir ce siège. Pour lui c’était fondamental. Il a ensuite réussi à se faire passer commande d’un rapport qui est devenu le rapport  » Grande Pauvreté et Précarité Economique et Sociale « , le rapport Wresinski de février 1987. Dans ce rapport il y a un constat sur tout les domaines de la Grande Pauvreté. Ça ne s’appelle pas constat mais  » situation et processus d’évolution « . Ce constat est suivi de l’analyse des réponses existantes. Le CES a enquêté sur ce qui était valable, ce qui se faisait, dans le travail social, dans la justice, dans l’école. Dans ce rapport, il y a une très intéressante évaluation des ZEP. Et puis vient une troisième partie : proposition à l’Etat.

Ce rapport Wresinski, tout comme le Conseil Economique et Social, essaie de rassembler les différentes forces vives de la nation autour d’une question fondamentale. Et quand on est ami d’ATD Quart Monde et enseignant, je crois percevoir que ce n’est pas toujours facile de sentir comment unir ses forces avec celles des familles très pauvres, avec celles des syndicats, pour un combat commun. Pour moi, le rapport Wrésinski permettait à chacun de sentir qu’il pouvait apporter son expertise au combat du Mouvement. Le rapport Wrésinski est une expérience où les expertises des professionnels, les expertises des gens très pauvres, avec les volontaires d’ATD Quart Monde à leur côté, les expertises des hauts fonctionnaires, les expertises de tous, peuvent s’unir pour des propositions pertinentes.

Quelles propositions pertinentes ? Et bien à l’époque ça a donné immédiatement le RMI. Et puis ça a donné la loi d’orientation contre les exclusions, puis la CMU. La CMU a été une victoire majeure qui inspire le monde et qui est directement liée au combat d’ATD Quart Monde et à ce rapport Wrésinski. Puis ça a donné le DALO. Pourquoi ? Parce que le rapport Wrésinski a fait prendre conscience aux différentes forces politiques de la nation que la société civile organisée, c’est à dire les syndicats, le patronat, les enseignants aussi, peut créer un consensus : La misère n’est pas une question d’aide aux personnes, c’est une question de violation des droits de l’homme. C’est l’ensemble des droits de l’homme qui est mis à mal par la misère. Le rapport Wresinski est le premier document officiel dans le monde qui dit ça. L’ONU l’a repris, beaucoup l’ont repris aussi par ailleurs. Autre consensus : Il faut unir les forces pour s’en sortir. On ne peut pas traiter la question de la misère dans un coin. Ça ne peut se traiter que tous ensemble.

Un autre rapport à suivi, le rapport de Gaulle. Puis un troisième rapport, le rapport Robert, suite du rapport Wrésinski. Le rapport Robert s’appelle  » L’accès de tous aux droits de tous, par la mobilisation de tous « . C’est un thème qui mobilise beaucoup les partenaires sociaux aujourd’hui. Il ne s’agit pas de se demander ce qu’on va faire pour les très pauvres. Il s’agit de se demander comment les enfants très pauvres vont nous inventer une école pour tous, avec nous. C’est la seule sécurité qu’ils puissent avoir. Si on fait un truc spécial pour eux, ça va disparaître dans un an ou deux. Il n’y aura pas de volonté politique pour que ça tienne. C’est ça la force des très pauvres c’est de nous obliger à créer des sécurités pour tous. J’ai passé dix ans aux Etats-Unis, pour ATD Quart Monde, et j’ai vu, pendant les années Reagan. tout le système du Walfare spécial pour les pauvres disparaître, parce qu’il n’y avait pas de consensus social. C’était un dispositif spécial pour les pauvres. Dans l’esprit d’ATD Quart Monde et dans l’esprit du rapport Wrésinski, la seule sécurité au niveau des plus fragile, c’est de donner une sécurité à tous.

Le réseau Wresinski Ecole est dans cet esprit là. A partir du rapport Wresinski, le Mouvement ATD Quart Monde a acquis une crédibilité auprès de professionnels, auprès des syndicats, pour dire :  » Nous ne cherchons pas à avoir la solution seuls. Nous cherchons à créer le dialogue pour chercher tous ensemble la solution « . J’entends encore le père Joseph Wrésinski dire dans une session du Mouvement ATD Quart Monde:  » Vous n’avez pas le sort des plus pauvres entre les mains. Le sort des plus pauvres se jouera dans la société ou ne se jouera pas « . Nous ne sommes pas nombreux mais nous avons une ambition considérable. Celle de créer une conversation sociétale pour que tout le monde s’y mette pour une école pour tous.

Pourquoi aujourd’hui ATD Quart Monde, dans les années 2009-2012, a-t-il choisi l’école comme centre de ses énergies ? Pourquoi a-t-il choisi de mettre l’école au centre de ses priorités ? Il y a un an, Véronique Davienne vous a exposé les cinq ambitions qui sont sorties d’une année mondiale d’évaluation à travers le monde, en Haïti, à la Nouvelle Orléans, en Afrique, en Asie. Dans les différentes régions de France, on a créé des échanges dans les groupes locaux pour se demander ce qui avance et ce qui butte dans cette lutte contre la misère. Comment ne pas être seulement en train de se dire  » ça va de pire en pire « , mais comment recréer de l’ambition, recréer des énergies pour être force de proposition et pas seulement de lamentation ?

Je vais seulement nommer ces cinq ambitions, sans les développer. Vous les trouverez développées dans le compte rendu de la journée du réseau de novembre 2008. La première : s’unir, créer vraiment la paix entre nous, à partir de ceux qui vivent la misère et la violence. La deuxième : pour s’unir il faut connaître ensemble. Nous sommes dans une société où les experts connaissent pour les autres. Il faut connaître ensemble. Bien sûr les sociologues connaissent la misère. Mais les pauvres aussi. Bien sûr les enseignants connaissent l’éducation, mais les enfants en savent un bout aussi, ils la vivent. Et les parents essaient aussi d’être des éducateurs, même s’ils ne sont pas allés dans les IUFM. Comment connaître ensemble ? C’est un défi énorme. Le cœur d’ATD Quart Monde c’est une intelligence collective entre les très pauvres, dont on pense trop souvent qu’ils ne sont pas intelligents, et les autres. Comment faire se croiser des savoirs qui sont de natures complètement différentes, de rythmes, de catégories, d’épistémologies complètement différentes ? Une personne très pauvre qui sait quelque chose, elle sait pourquoi elle le sait, elle sait d’où elle le tire. Un sociologue qui sait quelque chose, il sait d’où il le tire. Chacun de ces savoirs a une justification très forte. Faire se rencontrer ces savoirs n’est pas facile. Mais c’est toute la force des expérimentations de croisements des savoirs et des pratiques que nous voulons absolument maintenant mettre au cœur de notre Mouvement. Troisième ambitions : investir avec l’enfance et la jeunesse, qui sont centrales évidemment, mais qui sont souvent un peu oubliées. Dans les mouvements militants on entend beaucoup dire que les jeunes d’aujourd’hui ne s’engagent plus. Dans la société, on voit en général les jeunes comme des problèmes au lieu de les voir comme des richesses. Quatrième ambitions : parler des moyens, parler des sous, parler du partage des moyens. Et cinquième : dire que la culture et la beauté ont toujours été au cœur de la lutte pour la dignité humaine.

Une fois qu’on a énoncé ces cinq ambitions, on est très content ! Un haut-fonctionnaire nous a dit un jour :  » c’est bien, c’est formidable, ATD Quart Monde vous avez toujours eu la force de nommer des cibles précises pour nous mobiliser. Vous nous avez casser les pieds pour la CMU. Et vous avez obligé l’Etat à se situer. Vous avez obligé la société à se situer. De vos cinq ambitions, quel combat allez vous tirer ?  » Après le droit à la santé, après le droit au logement pour lequel on vit maintenant la bataille pour qu’il soit effectif, que peut-on faire avancer au niveau du droit de chaque enfant à développer tous ses potentiels ? Nous avons choisi de nous concentrer là-dessus. Mais nous ne savons pas comment faire. Nous allons l’inventer ensemble. Mais nous avons pris la décision de poser à la société cette question : Comment faire pour que chaque enfant puisse développer tous ses potentiels, pour être ambitieux pour chaque enfant, chaque jeune, pour être ambitieux pour notre école, pour qu’elle soit ambitieuse pour les enfants et les jeunes ?

Le Mouvement ATD Quart Monde n’est pas tout à fait neuf sur cette question de l’école. En ouvrant la journée, Pascal Percq évoquait Haïti : la première demande que nous avons eue à Haïti, c’était de soutenir la création d’une école. En Afrique, quand on commence dans les villages, d’emblée on a ces gestes appris du Père Joseph Wresinski d’amener des livres, d’amener des crayons, de voir dans chaque enfant un potentiel de création de beauté, un Mozart qui s’ignore. On le croit profondément. D’emblée on s’allie avec l’Inspecteur d’Académie du secteur. D’emblée il y a une alliance objective entre les très pauvres et l’école. Je me rappelle ma voisine à New-York que j’ai revue récemment. Elle disait :  » De tout ce que vous avez fait, le plus important c’était quand même la bibliothèque de rue. Ça c’était vraiment bien.  » Je lui ai demandé pourquoi. Elle m’a répondu :  » Bush, il nous enlevait tous nos droits. Mais l’éducation, il ne pouvait pas nous l’enlever.  » Cette parole est très profonde. Elle dit que, parmi les droits, un certain nombre sont extérieurs à la personne. Moi aussi je peux perdre mon travail, je ne sais pas comment sera l’avenir. Je peux perdre mon logement. Mais pas ce que j’ai appris. Je vous conseille de méditer cette réflexion de Sharmaine Riddick :  » Bush peut tout nous enlever, mais l’éducation il ne peut pas nous l’enlever « . La libération passe par l’éducation, il y a une alliance objective entre les très pauvres et l’école.

Mais on constate ensuite que cette alliance ne se vit pas très facilement. Très souvent, on sent plutôt un ressentiment réciproque entre les milieux très pauvres et les enseignants. Pas sur le fond, pas dans l’intention. Les enseignants pour la plupart ont rêvé de soutenir les enfants qui en avaient le plus besoin. Tous les parents ont rêvé que leurs enfants réussissent à l’école et à chaque rentrée scolaire les enfants sont beaux comme tout, ils ont un cartable neuf, ils ont des habits neufs, ils sont dans l’espoir absolument intact que l’école va être formidable. Et puis ça ne se passe pas tout à fait comme ça. Ces souffrances, ces espérances des uns et des autres, au lieu de se renforcer, de s’allier, elles se frottent ou se transforment en conflit. Nous l’avons fortement constaté. Nous avons fait un premier gros effort dans les années 80, un grand colloque dans le nord de la France à l’initiative d’un haut-fonctionnaire, Claude Pair, qui a été très proche de Lionel Jospin pour écrire la loi d’orientation sur l’école de 1989. Claude Pair a voulu éprouvé cette loi sur le terrain. C’est l’objet d’un des chapitres du livre  » artisans de démocratie  » qui explique comment ce haut-fonctionnaire s’est allié avec les volontaires d’ATD Quart Monde et des familles pour créer une conversation entre l’école et les familles très pauvres. Cela a abouti à la création du module de formation entre des parents très pauvres et des enseignants. Très grande fierté, très grande ambition, qui n’a malheureusement pas donné tout ce qu’on aurait pu espérer.

Notre expérience de l’école n’est donc pas nouvelle. Aux Etats-Unis, pendant mes dernières années là-bas, on a créé une conversation entre des formateurs d’enseignants d’Harvard et du MIT, des enseignants, des parents très pauvres et des adolescents, qu’on a appelé  » libérer les potentiels cachés « . Un travail de deux ans. Un livre et un Cdrom, en anglais, rendent compte de ce travail et servent à la formation.  » Libérer les potentiels cachés  » a été une démarche extrêmement rigoureuse pour essayer de créer cette conversation entre les parents et les professeurs. Au tout début, la première rencontre entre les parents et les professeurs a été d’une violence considérable. Les parents pensaient qu’on les jugeait inintelligents. Les professeurs avaient une idée de ce qu’il faudrait faire et ils trouvaient que les parents ne faisaient pas ce qu’il fallait faire. Déconstruire cette violence pour arriver à construire une alliance n’était pas facile, mais on y est arrivé. Je me souviens d’une de ces professeurs, qui avait débloqué la première rencontre. C’était une professeur qui, dans sa classe, créait une ambiance très particulière de coopération entre les enfants. Il existe au sein d’ATD Quart Monde un mouvement pour les enfants qui s’appelle Tapori. C’était une championne de Tapori. Elle a même pris une année sabbatique pour écrire un manuel à destination de tous les professeurs pour introduire Tapori dans l’école. Créer dans la classe une atmosphère où on ne se moque pas de celui qui ne sait pas était pour elle absolument essentiel. Elle portait cette conviction que, ce qui compte, c’est de responsabiliser les enfants. Elle l’a dit aux parents qui étaient assez agressifs en disant  » vous nous prenez pour des idiots « . Elle a dit :  » écoutez, vous comme nous, ce qu’on veut, c’est responsabiliser les enfants. C’est qu’ils grandissent en responsabilité.  » Et là tout le monde était d’accord. La co-responsabilité, c’est ça l’enjeu. Prenons l’exemple du logement. Si on dit que le manque de logements sociaux est la faute du gouvernement, c’est bien gentil. Mais dans tel quartier, est-ce qu’on veut vraiment qu’il y ait des logements sociaux ? Dans le dernier journal  » Feuille de Route « , on montre que chacun a sa responsabilité dans la vie communautaire. Pour reprendre l’exemple du logement, il y a tous les ans plusieurs milliers de logements bon marché qui ne sont pas construits parce que les citoyens n’en veulent pas. Donc il y a une co-responsabilité pour le logement. Quand on le dit, on ne se fait pas que des amis. Mais c’est vrai, les gens savent que c’est vrai.
Pour l’école, la co-responsabilité est au cœur de cette nouvelle démarche qu’on est en train de faire. Plusieurs démarches sont en cours à ATD Quart Monde. Il y a des projets pilotes qui essaient de créer la conversation, l’alliance, vraiment, entre les parents, les professeurss, les enfants. Il y a un projet pilote particulier, qui est mené par Bruno Masurel, Marie Michel, et Benoît Hooge au nom de l’éducation nationale, c’est un projet pilote en partenariat ATD Quart Monde et Inspection d’Académie, avec d’autres. Nous nous sommes rendus compte que ce dialogue entre l’école et les parents défavorisés était impossible si on ne mettait pas en troisième partenaire les parents moins défavorisés, les parents classe moyenne. Tout le dialogue que nous avons eu, il y a quelques années, entre les parents très pauvres et l’école a été très productif. Un nouveau pas serait de considérer l’ensemble de la communauté scolaire, dans laquelle il y des parents très défavorisés et leurs enfants, et il y aussi les autres parents et leurs enfants. Si les autres parents et leurs enfants se disent  » il faut surtout éviter d’être avec les enfants de tel quartier, il faut surtout ne pas aller dans telle école, parce que certains enfants vont empêcher les enfants d’apprendre « , alors on a un problème. C’est très difficile ce qu’on voudrait soulever. On voudrait soulever cette question de la co-responsabilité pour que tous les enfants apprennent. Il y a une mère d’élève, membre d’ATD Quart Monde, qui ne vient pas du tout de la grande pauvreté, et qui a très clairement dit qu’elle avait envie que ses enfants puissent grandir sans œillère. Il se trouve que sa fille s’est trouvée copine avec la seule enfant dans sa classe qui était enfant de la DDASS. La DDASS n’a pas d’enfant, ça veut dire que la famille avait connu beaucoup de malheurs et l’enfant avait fini par être prise en charge par la DDASS. Cette mère d’élève déménage dans les Yvelines : sa fille devient amie avec la seule gamine de l’école qui habite en caravane. C’est comme ça. Cette mère dit  » c’est pas moi, c’est ma fille « . Je pense que beaucoup d’enfant sont ouverts à tous, mais certains sentent que, à la maison, on n’est pas trop d’accord. Je pense que cette maman là ne contredit pas sa fille quand elle s’implique dans une amitié avec une petite fille qui habite en caravane. L’important de cette histoire, c’est que cette maman a une ambition pour l’école : que l’école ait une ambition pour sa fille qui ne soit pas seulement de la faire rentrer à Polytechnique. Elle y rentrera peut-être, je n’en sais rien. Que l’école apprenne à sa fille le monde comme il est, avec les êtres humains comme ils sont. Que sa fille ne soit pas seulement un super instrument technique qui fera encore plus de voitures, plus de yaourts etc… Nous sommes dans un moment de civilisation où nous savons qu’il ne s’agit pas seulement d’être fort en technique de l’objet, de fabriquer encore plus de choses. Nous savons que l’enjeu est d’apprendre à vivre avec la nature et d’apprendre à vivre avec les autres. C’est une nécessité. Cette mère est consciente que sa fille a besoin d’apprendre ça. Elle nous dit aussi que ses amis lui disent  » mais t’es folle de mettre ta fille dans cette école là « . Cette conversation citoyenne pour savoir avec qui on veut que nos enfants apprennent, elle est fondamentale. Et il faut que les parents très pauvres aient aussi leurs mots à dire là-dessus.

Dans notre équipe nationale, nous sommes quatre, Véronique Davienne et moi-même, Pierre Saglio qui est président d’ATD Quart Monde, et Martine Lecorre qui est une femme qui a vécu la misère toute sa vie, qui est une militante quart-monde et qui disait  » c’est terrible cet assouplissement de la carte scolaire, que nos enfants ne puissent pas simplement voir comment apprennent les enfants de médecins « . On apprend beaucoup en regardant. Bien sûr on peut être un peu jaloux de l’autre, mais c’est bien ensemble qu’on apprend. Aux Etats-Unis la discrimination positive pour raison de race a complètement écrémé les ghettos africains-américains. Avant dans le ghetto africain-américain, il y avait le médecin, il y avait le professeur… Après, quand on a fait la discrimination positive pour raison uniquement ethnique, ça a profité aux plus forts des africains-américains qui sont partis dans les classes moyennes. Les ghettos sont restés africains-américains, avec une majorité de gens très pauvres. Et donc on a décapité les ghettos, conséquence inattendue de la discrimination positive pour raison ethnique. Et nous, nous nous battons pour faire reconnaître la discrimination sociale. Ce mélange des enfants, cette ambition pour l’école, nous devons la re-souhaiter avec les enseignants qui sont les premiers artisans, avec les enfants, avec les parents défavorisés, avec les autres parents.

Voilà une orientation que nous vous proposons de travailler, dans un véritable croisement des savoirs. Les parents très pauvres ont des ambitions pour l’école et pour leurs enfants. Ils ont des expériences, ils ont des souffrances, ils ont des expériences de réussites aussi. Je me souviens de parents qui devaient déménagé pour trouver un travail. Avant le déménagement, l’enfant est entré en CP et le maître de CP a dit : « dans la classe à la fin de l’année, tout le monde saura lire et écrire « .  » Même moi monsieur ? « .  » Oui, tout le monde « . Et bien le papa a décidé de ne pas déménager et de lâcher son boulot. Les gens très pauvres savent ce que l’école peut leur apporter. Si nous écoutons vraiment leur savoir sur l’école, leur expérience sur l’école, nous apprendrons ce qu’ils attendent de l’école. Les autres parents aussi doivent être écoutés. Si on leur dit  » Moralement vous devez absolument mettre votre enfant dans une école où il y a de la violence « , il y aura des réticences. Il faut vraiment les écouter. Si on chemine en vérité avec les parents de classe moyenne sur ce qu’ils attendent de l’école, à quelles conditions l’école peut être une ouverture pour leurs enfants, on apprendra quelque chose. Et les enseignants, qui sont les premiers acteurs de l’école, si on entend vraiment ce qui leur donne espoir, ce qui leur donne du courage, ce qui leur donne de l’énergie sur ce qui se passe à l’école, pour vraiment partir d’eux, le leur vie, de leur expérience, de ce qui les inquiète mais aussi de ce qui leur donne espoir, et bien on entendra quelle est leur ambition pour l’école.

Croire qu’on peut être ambitieux pour l’école, qu’on peut refonder une école pour le 21ème siècle, c’est extrêmement ambitieux, ça peut paraître absurde. Mais ATD Quart Monde a toujours été dans des ambitions folles. Quand le Père Joseph, avec deux cents personnes, disait  » on ira à l’Elysée et on montrera que la misère est une violation des Droits de l’homme  » C’était un peu délirant. C’était tellement délirant qu’il y a des gens qui se sont dit  » il a raison « . Il s’agit de ne rien lâcher de l’ambition initiale. Bien sûr aujourd’hui, on est plus qu’inquiet, on aurait envie de réagir très souvent. Et il faut réagir. Et il faut se rapprocher des enseignants qui résistent et les soutenir. Dans tous les domaines on pourrait passer notre temps à résister et à réagir, à dire que ce n’est pas normal etc… Mais si on ne se garde pas une part de notre temps pour être constructif, pour faire autre chose que de se plaindre, pour rêver, pour construire, pour proposer, et bien la crise que nous vivons sera perpétuelle. Il me semble que les solutions, dans les grandes crises sociétales du monde d’aujourd’hui, viendront de petits mouvements, de petits courants. Je ne suis pas le seul à le dire, c’est Edgard Morin qui dit ça. Les solutions viendront de gens qui osent chercher tout à fait ailleurs que dans ce qui est massif et qui nous écrase. Il faut résister à tout ce que vous connaissez, qui parfois est très difficile. Mais il y a aussi des choses très belles qui se passent. Il faut se garder un espace pour imaginer une école qui permette à chaque enfant d’être plus compétent humainement et socialement. Et pour avoir une vraie ambition pour l’école, une vraie ambition pour le monde.

Voilà quelques remarques, j’espère n’avoir pas été trop long. Ne croyez pas que nous ayons les moyens de notre ambition. Surtout ne croyez pas ça. Lorsqu’il était au Conseil Economique et Social, Didier Robert a fait la remarque suivante. Au vote de son rapport, un 18 juin, un membre du CES lui a dit  » votre rapport il est formidable, mais vous n’avez pas les moyens, vous n’avez pas le budget « . Didier Robert a répondu ceci :  » vous savez j’en connais un autre, le 18 juin, qui a lancé un appel, il n’avait pas les moyens non plus « . Ca a créé un petit froid. Nous n’avons pas les moyens, mais c’est très très encourageant, nous allons chercher, avec vous. »