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Anne de Margerie : Si loin, si proches…

Dans un livre récent, Si loin, si proches…, Anne de Margerie, membre d’ATD Quart Monde, relate les dix mois durant lesquels elle a habité un pavillon de la cité du Château de France, juste avant la première phase de démolition.

Pourquoi avez-vous emménagé dans cette cité ?

La démolition d’un lieu où l’on a vécu est toujours une grande violence, surtout lorsque l’on n’a connu auparavant que des logements précaires. On se demande pendant des mois sinon des années : quand va-t-on déménager et pour où ? Un enfant de la cité a dit un jour à ses parents : « Est-ce que la pelleteuse viendra pendant que je dors ? » Et aujourd’hui, à la place des pavillons, il y a un champ. C’est comme si le passé et les repères de chacun avaient disparu. Afin de soutenir pendant cette période les parents et les enfants qui habitent la cité, ATD Quart Monde a proposé au bailleur, Emmaüs Habitat, que certains logements libérés ne soient pas murés et soient occupés par des membres du Mouvement.

Les relations avec vos nouveaux voisins se sont-elles créées facilement ?

Cela s’est fait tout naturellement, par affinités. Parfois à l’occasion d’un voyage en RER ou d’un match de rugby à la télé, souvent en se croisant le matin ou le soir. Les gens ont été accueillants avec moi. La taille modeste de la cité permet de se parler plus qu’à Paris. La vie « dehors » m’a beaucoup impressionnée. On se connaît, on se salue, pas tout le monde, bien sûr. On vit ici beaucoup plus sous le regard des autres.

En quoi ces dix mois vous ont-t-ils marquée ?

La première chose qui m’a frappée est le contraste entre la beauté des bâtiments de Paris et l’uniformité triste de ce coin de Noisy. Heureusement, il y a des endroits gais, comme le terrain de jeux. Le Centre de promotion familiale tout proche a aussi de très beaux espaces pour les enfants et les adolescents, et l’action culturelle menée par ATD Quart Monde dans la cité est intense. Mais je reste marquée par cette grande injustice : lorsque l’on connaît la précarité, l’art et la beauté deviennent un privilège. Or les familles qui habitent ici en ont une grande soif. Je me souviendrai toujours de ce voisin, passionné de peinture depuis des années et qui a trouvé la force de réaliser des tableaux grâce au soutien d’une volontaire permanente artiste peintre. L’art apporte du bien être, l’élévation de soi, de la convivialité… Pourquoi certains y ont-ils droit et pas d’autres ?
À un niveau plus personnel, je dirais que, en côtoyant des familles qui ont souvent été brisées par une vie dure, j’ai pris conscience à quel point c’est un privilège d’être aimé. J’ai eu la chance d’avoir une famille, des frères et sœurs qui ont grandi avec moi. Je ne dis pas que ma vie a été facile – aucune vie n’est vraiment facile –, mais quels que soient les écueils que j’ai traversés, j’ai toujours été soutenue par mon entourage, mon éducation, mon métier. Il y a là aussi une grande injustice car tous n’ont pas cette chance. Par mon engagement à ATD Quart Monde, j’essaie modestement de lutter contre ces injustices.

Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot