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Accompagner des populations en errance

Face aux migrants et aux réfugiés (1) fuyant les guerres et la misère, les plus exclus oscillent entre solidarité et crainte d’être oubliés. Comment relever ensemble le défi de la pauvreté ? ATD Quart Monde lance des actions pour construire des ponts.

Réfugiés fuyant la guerre en quête d’asile, migrants poussés par la misère, Roms expulsés, allant de terrains en squats, immigrés relégués dans des cités-ghettos… ATD Quart Monde engage une réflexion sur son rôle auprès de ces populations démunies et souvent contraintes à l’errance. En ces temps de crise et de peurs, comment faire vivre le combat commun avec les plus exclus, pour les droits et pour une dignité retrouvée ?

Un groupe de travail s’est constitué au sein du Mouvement pour partager les expériences menées un peu partout en France et les questionnements. Que répondre aux craintes exprimées ici et là que les nouveaux venus seraient aidés au détriment des personnes en grandes difficultés, que les logements tant attendus leur seraient attribués en priorité ? Comment empêcher cette « mise en concurrence » stérile, porteuse de divisions et, au bout du compte, affaiblissant la cause à défendre ?
C’est aussi sur les modes d’action que le Mouvement veut avancer. De plus en plus, ses membres rejoignent des collectifs créés sur le terrain et rassemblant des personnes d’horizons divers. Que peut apporter de spécifique ATD Quart Monde ? Comment préserver sa propre vision ?
De Montpellier à Lille, en passant par Lyon ou Annecy, le Mouvement travaille avec des Roms, des migrants, des gens du voyage… Des militants et amis les accompagnent au quotidien, animent des bibliothèques de rue, luttent avec eux pour faire respecter leurs droits souvent bafoués. Feuille de route s’est arrêté sur plusieurs actions.

A Marseille, une bibliothèque de rue dans un squat

Depuis 2012, ATD Quart Monde fait une bibliothèque de rue un peu particulière avec des Roms. Autour de Danielle Tomiet qui l’a créée, l’équipe suit les familles, régulièrement expulsées, dans leur errance. Il est même arrivé que les bénévoles s’installent et sortent les livres sur un trottoir. Avec les Roms, ils ont réalisé des albums photos retraçant leur histoire.
Aujourd’hui, chaque samedi après-midi, les animateurs vont dans le squat où logent ces familles, apportant les livres. « Les enfants eux-mêmes réclament « les dames du livre », se félicite Marie-Hélène Bourreau. Comme ils ne voulaient pas nous laisser partir et qu’ils restaient sur la natte, nous finissons toujours par la chanson « Jean petit qui danse » .»

Capture du 2016-04-07 15:31:52Lycéenne de terminale, Eve a rejoint l’équipe de la Bibliothèque de rue à la rentrée dernière. Elle raconte : « Une grande partie a du mal à lire. Certains ne parlent pas, ou mal le français. Nous essayons de lire avec quelques-uns. Mais ils sont souvent très jeunes et l’atelier ne doit pas ressembler à un cours. Nous lisons d’abord une histoire collective. Les enfants doivent respecter le silence si tout le monde veut en profiter. Ils interagissent, comme avec le conte de la « Petite Taupe » que nous avons joué en décembre. Ensuite, on parle en petits groupes.
Avec la promiscuité, il y a parfois de l’excitation. Mais le plus souvent, les enfants s’amusent et nous rions ensemble. Il s’agit de les faire rêver et rire, de rappeler que chacun d’eux est important dans une société qui s’efforce de les ignorer. Nous voulons aussi montrer aux familles que le livre, l’éducation n’est pas une perte de temps, que la lecture et le jeu permettent aux enfants de s’épanouir. Nous transmettons, par les livres, des thèmes tels que le rêve, le voyage, l’amour, la famille et la solidarité.
Il s’agit aussi pour moi de montrer que la France est avec eux et a besoin d’eux, de les rencontrer en vrai et de leur avouer qu’ils sont, avec la population de Marseille, tout ce qui constitue mon bonheur chaque jour. »

Juliette, en terminale aussi, explique ce que lui apporte le fait d’animer la Bibliothèque de rue : « Alors que je n’avais jamais vu ces enfants en début d’année, ils m’ont embrassée dès que nous sommes arrivés. Ils n’attendent rien et reçoivent chaque geste avec passion. Le livre n’est pas seulement un objet, il est devenu un lien privilégié entre leur culture et notre monde occidental qu’ils redoutent tant. Nous ne cherchons pas à les changer en petits français, leur culture est précieuse et enrichissante. L’école n’est souvent pas leur alliée mais nous voulons que le livre devienne leur ami, une évasion. Durant une heure, nous les faisons voyager, rire, chanter et danser. Malgré la pauvreté omniprésente, tout est oublié quand nous partageons ce moment unique. Ils sont comme tous les enfants. Les câlins et les bisous fusent. Une petite italienne m’a même obligée un jour à partager son seul repas de la journée !
J’ai l’impression de recevoir bien plus que je donne. Et les résultats sont là: les enfants réclament des livres alors que certains n’en connaissaient pas l’existence avant, sans oublier le regard confiant des parents pas toujours faciles à conquérir. »

A Tassin, des réfugiés albanais accueillis dans un jardin

Bénévole d’ATD Quart Monde, Monique Dugnolle accueille une famille albanaise dans le jardin de sa maison de Tassin, dans la banlieue lyonnaise, depuis septembre 2015. Les parents et leurs fils de 11 et 13 ans vivent dans deux caravanes chauffées – l’une fournie par le Secours catholique, l’autre par des amis – avec une petite salle d’eau et un coin cuisine.
« Les demandeurs d’asile comme cette famille, qui après avoir été de squat en squat n’avait nulle part où aller, vivent dans des conditions indignes, il n’y a pas de différence avec les plus exclus, explique Monique, j’ai eu l’occasion de faire quelque chose, je l’ai fait ».
Soucieuse d’éviter des tensions, avant leur arrivée, elle avait invité ses voisins à un apéritif pour parler de son projet. Tassin est un quartier mixte, avec des maisons souvent partagées par plusieurs familles. Une vingtaine de personnes sont venues. « Les gens ont été contents de se sentir consultés. Un voisin, psychologue, s’est proposé de recevoir l’un des enfants, en difficultés. D’autres ont apporté de la vaisselle, des couettes ». Monique a décidé de les ré-inviter au printemps, cette fois avec la famille albanaise.
« L’idée est de montrer que ce n’est pas un effort tel d’accueillir des réfugiés et que cela se passe bien. Ce n’est même pas très prenant. » Monique fait un peu de soutien scolaire avec les enfants, accompagne la famille dans des démarches, va à un rendez-vous à l’école… « Lorsque la famille me demande, je suis disponible mais pas question d’en faire des assistés. »
Monique a encouragé la mère à prendre des cours de français. Mais celle-ci ne progresse guère, « trop angoissée pour apprendre ». Arrivée il y a deux ans, la famille a été déboutée du droit d’asile. Elle a reçu une obligation à quitter le territoire et a fait appel. Elle ne veut pas rentrer en Albanie qu’elle a quittée, prise dans une vendetta et des querelles autour de terres.
« Nous avons de bonnes relations de voisinage », résume Monique. L’aîné adore bricoler avec son mari dans le garage. La mère, qui fait du crochet et cuisine, apporte des cadeaux. Un échange plutôt qu’un don à sens unique. Et c’est ce qui plaît à Monique.

(1) voir le dossier de Feuille de Route de nov. 2015, n°455.

Véronique Soulé

Réfugiés à Bonnelles (Yvelines) le 15 septembre 2015 (F. Phliponeau)