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La dernière chance

La dernière chance

« Les innombrables destins des gens sans qualité, sans voix, sans traces échappent à l’écriture classique de l’Histoire »

Histoire des suppliques

Yves-Marie Bercé, membre de l’Institut, ancien directeur de l’École des Chartes, professeur des universités, historien spécialiste des révoltes populaires dans l’Europe moderne, fonde entièrement son ouvrage sur des « sources insolites qui racontent quelque chose… de ceux qui passent muets et invisibles à travers les générations ».

Ainsi, en tout temps et en tout lieu, certains ont tenté leur « dernière chance » en écrivant aux puissants. Si le flot des documents ainsi produits (demandes, requêtes, suppliques, placets, pétitions, lettres) a été jugé sans intérêt ou trop volumineux pour être conservé, des épaves ont subsisté au sein d’autres dossiers et c’est sur celles-ci que l’auteur  fonde son « essai ».

La première partie de l’ouvrage est consacrée aux requêtes adressées à l’autorité chargée de rendre la justice et aux instances chargées de les accueillir. Ces requêtes, loin d’être rares, constituaient une forme de gouvernement, une participation des sujets à la genèse des lois. Yves-Marie Bercé analyse ensuite la composition de ces documents puis il étudie les démarches adoptées pour faire aboutir ces requêtes.

Le livre, abondamment illustré d’exemples, entraîne le lecteur tout autour du monde à travers les âges : pétitions révolutionnaires, adresses au Duce Benito Mussolini, lettres au chancelier Hitler, aux dirigeants communistes, aux présidents de la République française…
Les chapitres 5 à 8 sont thématiques : lettres de dénonciation pratiquées déjà dans le monde grec au VIe siècle avant notre ère, que l’on trouve ancrées dans la tradition russe dès le XVe siècle, considérées plus tard comme des actes civiques en France pendant la Révolution ou encore comme un outil de gouvernement dans les régimes totalitaires. Ce sont encore les lettres de femmes allant jusqu’au courrier du cœur, voire des prières écrites ou des adresses à l’Au-delà.  Le dernier chapitre est consacré à la parole radiophonique, ouverte à l’expression de tous depuis les années 50.

Enfin figure, dans une annexe, une sélection variée de textes originaux : supplique des porteurs d’eau au procureur du roi au bureau de la ville, vers 1750 ; lettre à Lamartine d’un huissier de l’hôtel de ville, en 1849 ; lettre dénonçant les abus de pouvoir dans un kolkhoze en 1936 ; lettre à Ménie Grégoire vers 1970 ; confession radio à Viviane, sur Europe 1 en 1986…

En conclusion, les multiples facettes de cet ouvrage, d’une lecture aisée,  le rendent très accessible à un public qui dépasse largement le monde savant.

Paule René-Bazin

Éditions Perrin – Tempus – 2014 – 277 p.

Compte rendu publié dans la Revue Quart Monde n° 231 : Liens familiaux : que transmettre ?