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Boza !

Boza !

Le récit, présenté comme un roman, de l'itinéraire d'un adolescent, qui a dû quitter l'existence en "survie" de sa famille dans un bidonville du Cameroun, pour atteindre l'Europe en traversant l'Afrique jusqu'au Maroc.

Un itinéraire de souffrances et de tragédies, quasiment mystique par certains côtés.

Ulrich est un adolescent assurément doué pour la bagarre mais aussi pour apprendre vite sans trop de difficultés et sans beaucoup d’assiduités : « en mathématiques je suis le premier ». Il aime gagner : il est têtu et décidé à quitter sa famille qui survit dans un bidonville de Douala.

Certains de ses amis ont déjà réussi Boza ! Ce qui signifie tout simplement qu’ils sont arrivés en Europe ! Mais comment se procurer de l’argent ? Il fulmine : « je ne connais personne ayant un vrai travail à Douala, mais j’ai un pote qui a réussi à entrer en Europe ». Après avoir traficoté et tenté de gagner des paris, c’est finalement sa sœur aînée qui lui donne une partie de la somme nécessaire. Trouver l’argent exigé par les passeurs, les douaniers, les policiers, les propriétaires de ghettos, etc, était une obsession pour les candidats à l’exil.

Pourtant ce fut bien secondaire au regard de tous les sévices et injures qu’il a dû subir, et pire encore en face des traces d’exécutions dont il a été témoin durant la traversée de l’immense désert algérien. Les références à Dieu sont fréquentes devant ces horreurs : « il n’y a pas un homme qui n’implore pas son dieu » dit-il. Ce recours à Dieu est aussi une constante dans toutes les circonstances de cette quête d’un ailleurs. C’est ce qui ressort le plus du récit détaillé des jours d’attente, de préparation et d’entraînement dans la zone forestière qui domine Melilla, à la frontière entre le Maroc et l’Espagne.

Car c’est là que va se dérouler l’attaque du « monstre-à-trois-têtes », les trois barrières successives surmontées de plusieurs rangs de fils de fer barbelés qui interdisent tout accès en Europe. C’est l’un des passages les plus émouvants et le plus révélateur de cette quête d’un « au-delà ».

Sa longue description – les préparatifs, les reconnaissances du terrain, le décompte des postes de gardes et des miradors, la préparation physique des 500 ou 1000 hommes qui vont affronter ensemble la barrière, l’organisation quasiment militaire de ce soulèvement, avec ses chefs,  ses officiers, ses ingénieurs, ses guetteurs et même ses techniciens – toute cette organisation d’une guerre de délivrance, fait références à des assauts quasiment bibliques. L’auteur, le soldat Ulrich, le souligne : « il y a une dimension sacrée de ce moment ». Les prières musulmanes et chrétiennes sont dites devant la foule des hommes qui s’apprêtent à combattre. « A nous d’être à la hauteur, cette nuit, car Dieu porte un projet pour nous ». Et d’ajouter : « Dieu a ouvert les eaux devant Moïse, pour permettre à son peuple de fuir les souffrances et l’esclavage ».

Les derniers chapitres, après son arrivée en Espagne, sont plus anecdotiques. Le jeune Ulrich est « beau gosse et a la tchatche » comme il l’affirme. Il décrit allègrement son parcours dans les centres d’émigrés, son passage à Paris, ses deux jours auprès de la Tour Eiffel, son arrivée en Bretagne, son accueil chez des hébergeurs, ses démarches auprès des organismes judiciaires, scolaires et administratifs….Tout est rapporté avec complaisance et humour.

Un roman donc, qui révèle tout ce que représente pour les populations qui sont dans la survie, en Afrique ou ailleurs, un accès espéré à une vie européenne.

Jean-Pierre Touchard

Editions Philippe Rey – 2020 – 379 pages