Entrez votre recherche ci-dessous :

Yannick Vaugrenard : passer de la méfiance à la confiance

Le rapport « Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! » a été remis le 26 février à Marie-Arlette Carlotti, Ministre déléguée chargée de la Lutte contre l’exclusion. Rencontre avec le rapporteur de ce texte, le sénateur Yannick Vaugrenard.

Quelle est l’origine de ce rapport ?
J’ai proposé fin 2012 à la Délégation sénatoriale à la prospective de travailler sur ces questions, car dans l’exercice de mes différents mandats, je constate l’extension de la pauvreté d’année en année. Elle touche un nombre croissant de familles monoparentales et de jeunes adultes. Elle concerne un enfant sur cinq et augmente en durée et en intensité. Si nous n’agissons pas en profondeur, elle va devenir un héritage transmis de génération en génération pour un grand nombre de familles.

Vos propositions vont très loin. Vous parlez de rupture nécessaire avec les politiques existantes.
L’État ne doit pas avoir seulement un rôle d’infirmier, mais aussi d’investisseur. Et il faut oser la fraternité – c’est le titre du rapport. Cela commence par une meilleure prise de conscience. Par exemple, il n’est pas normal d’attendre deux ans pour connaître les chiffres de la pauvreté en France alors que l’on dispose chaque mois des chiffres du chômage. Mettons en oeuvre les outils de microsimulation utilisés par l’Union Européenne et déjà appliqués par treize États membres. Nous pourrons suivre de près l’évolution de la pauvreté et donc mieux faire face.
Notre prise de conscience doit aussi concerner l’inégale répartition des richesses dans notre pays et leur nécessaire redistribution. Entre 2008 et 2011, le niveau de vie des 10% les plus pauvres a chuté de 2,5% et celui des 10% les plus fortunés a augmenté de 8,4% (www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?ref_id=NATnon04249).

Vous reprenez à votre compte une proposition d’ATD Quart Monde sur la création d’un 21e critère de discrimination..
Oui. Mettre en oeuvre ce souhait d’ATD Quart Monde et d’autres associations d’instaurer un critère de discrimination pour précarité sociale constituerait un message fort de l’implication politique de notre pays dans le combat contre la pauvreté.

Vous dites que notre système de protection sociale s’est construit sur la méfiance envers les personnes.
Nos politiques sociales reposent sur la méfiance car elles ne sont pas pensées avec les personnes en grande précarité, que certains appellent des « assistés », que je nomme des « ayant-droit ». Il faut passer à une approche complètement différente qui repose sur la confiance. Cela signifie contrôler le versement des prestations sociales a posteriori et non plus a priori, établir un référent unique pour accompagner la personne, et simplifier les procédures. Sur ce dernier point, nous pourrions nous inspirer de la Banque carrefour de la sécurité sociale qui est chargée en Belgique de l’échange de données entre les institutions de sécurité sociale.

Vous préconisez d’agir contre les non-recours, ces dix milliards de prestations non sollicités par les bénéficiaires potentiels. Certains diront que cela sera très coûteux pour les finances publiques…
C’est une réaction à courte vue. La protection sociale est un investissement d’avenir. Sur un plan strictement comptable, ne pas abandonner les personnes, faire en sorte qu’elles retrouvent une place dans le circuit économique, c’est leur permettre de redevenir un jour des consommateurs et des contribuables, donc de contribuer à l’activité économique de la société. Quand ceux qui se trouvaient dans la pauvreté en sortent, ils aident à leur tour ceux qui sont en difficulté. Supprimer la pauvreté coûte au bout du compte moins cher que de la tolérer. Au Canada, son coût a été estimé en 2007 à au moins 25 milliards de dollars et il ne coûterait que la moitié de cette somme pour que tous les Canadiens soient au-dessus du seuil de pauvreté (Conseil national du bien-être social canadien, rapport Le sens des sous pour résoudre la pauvreté, novembre 2011). Il faudrait arriver à chiffrer tout cela aussi en France.

Vous proposez de généraliser la participation des personnes pauvres aux politiques qui leur sont destinées…
Au Sénat, cela peut se faire à travers les consultations menées lors de nos différents travaux. Pour chaque projet de loi, je propose aussi de se poser la question des conséquences que la loi pourrait avoir sur les personnes en grande précarité.

De telles réformes vont demander du temps…
Oui, c’est pourquoi je souhaite qu’il y ait un suivi régulier de ce rapport par les pouvoirs publics.

Le 17 octobre 2014, prochaine journée mondiale du refus de la misère, sera-t-il une occasion de mesurer les avancées de vos préconisations ?
Pourquoi pas ? Il faut y réfléchir.

Propos recueillis par Jean-Christophe Sarrot


 

Le plan du rapport
Prendre conscience
1 Rendre l’appareil statistique de mesure plus réactif
2 Remettre la question des inégalités au cœur du débat
3 Consacrer la primauté du politique
Instaurer la confiance
4 Automatiser le versement des prestations sociales
5 Agir en priorité en faveur des enfants
6 Accorder leurs droits sociaux aux jeunes adultes
7 Instituer un référent unique pour l’accompagnement des personnes en détresse
Oser la fraternité
8 Mobiliser l’État, les collectivités et les associations dans une action collective et coordonnée
9 Généraliser le principe de participation des personnes pauvres aux politiques qui leur sont destinées
10 Fluidifier les échanges de données pour simplifier les procédures
11 Libérer les initiatives et promouvoir l’expérimentation
12 Systématiser l’évaluation des actions et des acteurs
→ À télécharger sur www.senat.fr/commission/prospective/index.html