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Compte-rendu de l’Université Populaire Quart Monde Normandie du 27 septembre 2016

Héritiers du Père Joseph

Invitée : Isabelle Perrin. Déléguée Générale du Mouvement
Sur les 61 participants à cette Université Populaire : 8 venaient d’Alençon, 7 de Flers, 3 de Rouen, 6 du Havre, 11 de Cherbourg, 2 de Montreuil et 23 de Caen.

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Maggy Tournaille : L’année 2017 on fêtera les 100 ans de la naissance du père Joseph. Un petit sondage : ici, ce soir, quelles personnes ont eu la chance d’avoir un dialogue avec lui ? Huit !

Quand on lit vos préparations, on a l’impression que beaucoup plus d’entre vous l’ont rencontré.
Les grandes lignes de la vie du père Joseph :

  • né en 1917 à Angers dans une famille très pauvre où sa maman s’est retrouvée seule à l’élever lui et ses 4 frères et sœurs.
  • en 1946, il devient prêtre.
  • en 1956, il est envoyé comme prêtre au camp de Noisy le Grand.
  • en 1957, il crée le Mouvement avec des familles du camp de Noisy le Grand.
  • en 1972, à la Cave, première Université Populaire Quart Monde. Il disait en parlant à son peuple, donc aux militants :« On sera respecté si on sait parler et si on sait parler, on sera reconnu comme des partenaires sociaux et c’est à partir de là qu’on pourra faire changer le monde »
  • en 1987, un autre grand moment, le premier 17 octobre : le père Joseph scelle au Trocadéro la Dalle à l’honneur
    des victimes de la misère en présence de 100 000 personnes qui ont répondu à son appel.
  • en 1988, le père Joseph décède.

L’héritage du Père Joseph, comment il nous a transformés ?

Isabelle Alix : Ça fait 10 ans que je fais partie du Mouvement. Ça m’a permis de retrouver une dignité, de percevoir vraiment les vraies valeurs de la vie. Avant d’arriver au Mouvement, jamais j’avais pu me dire : je suis fière de mon milieu. Parce que quand on est tout le temps rabaissé, on a la honte, on a toujours peur de la personne qui est en face de nous. Dans des moments de ma vie, à l’école ou quand j’allais me présenter pour les problèmes de logement, j’avais honte de dire comment je m’appelle à cause de « l’étiquette » collée à mon nom. Quand j’ai connu vraiment l’histoire du Père Joseph dans le Mouvement, j’ai complètement changé d’avis sur mon milieu et même sur le nom que je porte.
Les vraies valeurs, c’est d’abord ce que nos parents nous apportent. Quand on est gosse, on juge, on ne se rend pas compte. Quand on est une famille nombreuse, les parents sont pas riches, ils peuvent pas faire ce qu’ils veulent, alors ils font avec. Quand j’étais gamine, j’en voulais à mes parents. Quand j’ai eu moi-même mes enfants, là j’ai réalisé que ce n’était pas de la faute à mes parents. Ils faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour nous et moi, j’ai fait exactement la même chose. Mes parents m’ont appris le partage et le respect ce qui est le plus important. L’héritage du père Joseph, c’est pouvoir transmettre à nos enfants, à nos petits enfants qu’il faut se battre et si on est capable ensemble de réaliser ces choses là, je pense qu’on peut arriver à beaucoup de choses.

Marie-Thérèse Leprince : le père Joseph nous a appris que tout seul, on ne peut pas faire grand-chose, qui qu’on soit. Avec de la solidarité, on est plus fort, on a plus de courage. L’héritage qu’il nous a laissé c’est un grand message d’espoir. On sait bien que ça ne se fait pas en un jour. Maintenant qu’on a compris tout ça, on l’enseigne à nos enfants et plus tard, eux aussi ils auront la force de continuer. Le père Joseph a quand même su se faire accompagner par des personnes : l’alliance et les volontaires. Ça n’a pas été simple pour lui qu’on croit en lui. Ç’a été quand même un combat. Quand on est écrasé par la vie, on a tendance à baisser les bras. Avec le Mouvement, on n’est pas tout seul.
On est plein de monde. Il y a aussi toutes ces personnes dans les quartiers qui n’osent pas encore venir ou pour qui c’est difficile. Ensemble, on arrive à se dire que la vie elle vaut le coup et qu’il faut juste continuer à ne pas avoir honte de qui on est, ni d’où on vient. C’est en gardant la tête haute qu’on pourra se fait respecter, se faire entendre.

Gilles Rouelle : Je me souviens d’une phrase que le père Joseph disait : « Je vous ferai monter les marches de l’ONU, je vous ferai monter les marches du Vatican. » Il nous aide à aller voir les personnalités, tutrice, préfet ou maire. On a possibilité de dialoguer avec les personnes qui sont plus haut que nous. Il m’a donné cette chance, parce que avant j’étais vraiment renfermé.

Monique Simon : J’avais été frappée surtout par une chose quand Joseph Wresinski vivait dans le camp de Noisy Le Grand. Il pensait que les plus pauvres avaient quelque chose à offrir même un simple café. Et non pas qu’on pouvait être là pour simplement leur donner quelque chose. Faire avec les gens et que tous soient capables de faire quelque chose me semble le plus important dans le Mouvement.

Priscillia Leprince : Je n’ai pas connu le père Joseph mais j’ai l’impression qu’on est tous ses enfants. C’est un des piliers de nos vies à tous. Il nous a donné une éducation avec ce Mouvement et ça nous fait grandir tous au quotidien, peu importe d’où on vient et qui on est. J’ai l’impression qu’il fait partie de ma famille depuis toujours. Tes parents t’apprennent à marcher, à faire toutes ces choses là ; le Mouvement m’a appris à être moins timide, à aller vers les autres, à ne pas laisser une personne à l’écart malgré que je disais que les gens ne venaient pas vers moi, Le père Joseph a donné les clés, c’est à nous de faire avec et d’essayer de faire grandir les autres, même si on l’a pas connu, à faire grandir les gens qui vont arriver derrière nous. Pour moi Martine Le Corre est son héritière et elle nous a donné les valeurs qu’il lui a données et moi, quand les personnes plus âgées ne seront plus là, je donnerai les valeurs aux plus jeunes et ainsi de suite.Ça m’avait frappée quand Martine m’avait expliqué que le père Joseph lui avait dit : « avant de t’engager dans le Mouvement, il faut d’abord que tu fasses quelque chose dans ta propre vie à toi ». Je me disais : « je viens dans le Mouvement, pas pour moi mais pour ma mère, pour Martine, pour ma sœur. » Après je me suis dit : « t’as pas compris les bases de ce que le père Joseph voulait dire. Si tu viens dans le Mouvement, c’est pour toi, pour faire améliorer ta propre vie à toi et après faire améliorer la vie des gens. »

Dominique Grujard : L’héritage du père Joseph, c’est une autre façon de voir la misère et les causes de la misère. J’avais pas du tout compris combien c’était d’abord une humiliation. Quand le père Joseph disait : « Là où commence la honte, commence la misère », ça m’a vraiment aidé . D’abord, il faut lutter contre les humiliations. Ce que les plus pauvres demandent, c’est le respect des Droits de l’Homme. Dans le Mouvement, j’ai trouvé qu’on avait une autre façon de parler du refus de la misère par rapport à d’autres associations qui œuvrent pour les très pauvres. J’étais beaucoup plus à l’aise pour parler avec des collègues de travail ou avec des gens par rapport à mon engagement dans le Mouvement. Il s’agit de casser la honte et faire respecter les droits.

Isabelle Alix : C’est comme si le père Joseph m’avait ouvert une porte. Il a ouvert une porte aux plus pauvres pour qu’on puisse se libérer, pour qu’on puis-se avoir la liberté d’expression. Dire tout ce qui n’allait pas face aux professionnels. La toute première fois qu’il a eu le courage d’aller voir un professionnel, je me suis dit mais est-ce qu’il a eu peur comme moi j’avais peur au début ?

Angélique Jeanne : Le Mouvement nous aide à prendre confiance en nous mais moi j’ai encore du chemin à faire, même pour aller vers les administrations.

Marie-Thérèse Leprince : Ça m’a appris aussi que personne ne fera rien à ma place. Le père Joseph, disait : « il ne faut pas faire POUR les pauvres mais AVEC les pauvres. » Avec le Mouvement, on fait les choses ensemble et on n’attend pas quelque chose qu’on va nous donner. On nous donne les clefs pour pouvoir s’exprimer, réfléchir, penser avec les autres. Je l’apprends à mes enfants et je leur dis: « la vie ne te fera pas de cadeau, il faut que tu te battes toi-même et que c’est comme ça que tu y arriveras. »

Nadine Gaubert : Le père Joseph, il m’a permis de ne pas avoir peur du Quart Monde parce que quand tu arrives et que tu découvres la misère, c’est l’inconnu. T’as un peu peur. Quand j’étais face à un mur, j’allais le lire, après il y a eu Martine.

Colette Carlino : Je me sentais très privilégiée, je savais qu’il y avait des gens qui étaient dans la misère, qui souffraient et je me sentais absolument incapable de faire quelque chose parce que je n’avais aucune compétence. Ce que j’ai appris du père Joseph, c’est que chacun de nous, on peut faire quelque chose en fonction de ses moyens pour tenter d’avoir une société plus juste et que chacun ait sa place.

Danielle Godefroy : Le message du père Joseph, c’est être avec, essayer de comprendre, parce que ce n’est pas toujours évident, mais c’est surtout ce refus de la bonne conscience de ceux qui s’occupent des plus pauvres.

Annick Demange : Le père Joseph, je ne l’ai pas connu du tout, c’est très compliqué d’en parler mais quand j’entends les paroles de toute la salle, ça m’implique un peu à rentrer dans sa vie, de pouvoir porter son courage aussi pour ce qu’il a fait pour le Mouvement.

Christiane Dudignac : C’était pas la peur des gens qui vivent la misère mais la peur de les blesser quand j’étais en relation avec eux. J’ai été frappée de voir comme la misère ça détruit. J’avais peur d’en rajouter, d’être maladroite. Je me suis rendu compte que, finalement, il y avait un rapport de confiance qui s’établissait et qu’on pouvait oser se parler.

Véronique Leroy : Quand j’ai commencé à aller à ATD, je ne voyais pas la misère sous cette forme. Beaucoup de personnes ici m’ont ouvert les yeux et je me suis aperçue que c’est le monde entier qui a beaucoup de misère. Beaucoup ont des problèmes d’argent mais de la richesse dans leur cœur. Ça m’a vraiment touchée. J’ai envie de continuer parce que ça vaut le coup. Le Père Joseph s’est battu pour créer cette association. Si nous on se bat en son nom, on peut y arriver.

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Martine Le Corre : Je me sens héritière d’un combat qui se traduit au quotidien. Je me sens héritière de la passion de l’ambition que le Père Joseph avait pour son peuple, pour nous. Ce qui me fait marcher tous les jours c’est cette passion et cet amour du plus pauvre. Je me sens héritière aussi de l’exigence qu’il avait qu’on devait faire place au plus pauvre d’entre nous. On ne peut pas avoir des ambitions comme il a eu pour nous, qu’on passe du « sans voix » à des gens qui pouvaient être « des partenaires » sans exigence.

Liliane Coulon : J’ai bien connu le Père Joseph puisqu’on avait été à la Cave de Paris le mardi avec Martine. On était à quatre. On avait loué une camionnette. Depuis j’ai jamais quitté le Quart Monde. J’ai appris à aller dans les bureaux sans avoir peur. Si quelqu’un me demandait quelque chose, moi de répondre. Sans ça, il m’a appris beaucoup d’autres choses.

Guillaume Vassal : Je ne connais pas du tout le Père Joseph. Depuis que je suis au Mouvement, cela m’a aidé d’aller jusqu’au point d’écrire au Juge des Tutelles pour dire que j’en ai ras le bol, que je ne pouvais plus vivre dans l’état où me met ma tutrice.

Angélique Jeanne : Je me souviendrai toujours de ma première Université Populaire, de l’accueil qu’on m’y a fait. On m’a dit : merci d’être là, tu es un cadeau pour nous. Quand tu as la tête basse, ça te remet un baume au cœur. Je voulais vous dire, j’ai confiance en vous tous.

Comment être fidèle à l’héritage ? Quelles priorités, quels défis ?

Geneviève Leverrier : Le plus important ce sont les Universités Populaires. Là, on est à la base. On est dans ce que les gens disent de leur vie, partagent humainement, expriment leur pensée sur les thèmes. C’est important que le Mouvement s’appuie sur les dires des personnes. C’est vrai qu’on peut monter les marches de l’Élysée, du Conseil Économique et Social, c’est ça aussi le Mouvement, des personnes qui peuvent aussi aller parler là-haut. Mais il faut toujours écouter ce que les gens ont à dire là, dans les Universités Populaires.

Annie Zakani : Un des défis pas simple à relever c’est de continuer à essayer de changer le regard des professionnels. On l’a vu dans les journées qu’on a pu organiser autour du croisement du savoir, à un niveau personnel mais aussi collectivement.

Annick Demange : Je trouve que c’est important d’aller vers les autres personnes, de rencontrer d’autres personnes, il faut le courage de pouvoir le faire.

Dominique Grujard : Au moment de la mort du Père Joseph, on s’interrogeait sur l’avenir du Mouvement : est-ce qu’on va pas décrocher des plus pauvres. Comment collectivement, le Mouvement allait garder cette capacité à toucher la société sur cette question de l’humiliation, cette question des Droits de l’Homme. Jusque là, ça s’est bien fait. La société évolue, progresse ou non sur certains points. Les Universités Populaires ou le travail avec les professionnels sont de bons moyens. Ce qui me paraît important, c’est qu’on suive les évolutions de la société que le fossé ne se creuse pas encore plus.

Magalie Dethan : Je n’ai pas connu le Père Joseph mais je sais qu’il a créé les bibliothèques de rue. J’ai rencontré Martine qui m’a fait mieux connaître ATD Quart Monde avec mon père qui était derrière. J’ai encore mes enfants placés. Avant je baissais les bras mais depuis que j’ai eu Martine, puis Maggy, j’arrive un peu à être plus forte en parlant avec mes éducateurs. C’est pas encore facile quand je vois du noir, je m’enferme moi-même.

Martine Le Corre : Le Père Joseph a bâti l’Alliance, le Volontariat : le défi c’est de continuer que ce Volontariat soit en présence, à la hauteur des attentes des plus pauvres. J’ai besoin d’un Volontariat solide en terme d’engagement. Il faut maintenir ça. Qui on forme, comment on forme les gens dans ce Volontariat ?

Delphine Turcq : Je n’ai pas connu le Père Joseph mais je trouve que aussi tout ce qu’on peut avoir à travers la lecture, mieux le connaître, les philosophies de la vie et puis aider à bien s’imprégner de ce qu’il voulait nous faire entendre.

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Gilles Rouelle : Le Père Joseph nous a laissé quelque chose important aussi, c’est la continuité du 17 octobre. Le 17 octobre c’est de pouvoir faire voir aux autres notre capacité, de savoir qu’on est capable de faire quelque chose.

Isabelle Alix : On a tous une responsabilité, des défis à relever. L’Université Populaire m’a permis de rencontrer des personnes différentes, de niveau social différent. Je pense aux alliés et aux volontaires. Communiquer, nous connaître, travailler ensemble, c’est ce que le Père Joseph voulait, c’est la continuité. C’est mon combat de tous les jours, les uns sans les autres, on ne pourrait pas arriver à relever les défis.

Françoise Bréchot : Mon défi c’est faire passer mes convictions auprès de mes proches, ma famille, mon époux, mes enfants, mes petits enfants, mes amis. Il n’y aura pas de société équilibrée sans que les personnes les plus pauvres aient leurs droits respectés, soient dignes, soient accueillis comme tout un chacun. C’est très dur dans certains milieux sociaux, certains milieux professionnels et familiaux. C’est un combat de tous les jours. Il faut en parler beaucoup, parfois il faut même se mettre en colère.

Nadine Gaubert : Un défi pour le groupe de Cherbourg , ce serait peut être d’essayer de s’ouvrir un peu et de pas rester bien entre nous. On ne pense plus à aller chercher les plus pauvres, parce que y en a, mais ils ne sont pas avec nous.

Marie-Thérèse Leprince : C’est un défi qu’on s’était fixé, mais c’est pas simple, ça prend du temps. Je me souviens le temps que ça a mis pour moi. Il ne faut pas non plus être intrusif, il faut trouver le juste milieu. Il faut de la présence, de la persévérance. C’est pas simple.

Nadine Gaubert : Le Mouvement, quelquefois, a trop tendance, à petite et à grande échelle, à justifier avant d’essayer, à trouver toutes les raisons possibles, imaginables, pour dire on ne va pas y arriver. Je crois que le Père Joseph n’était pas comme ça. Il fonçait d’abord et après il voyait. Moi ça me fait peur que le Mouvement devienne un mouvement de blabla, on fait des belles théories et après il n’y a plus rien derrière.

Angélique Jeanne : Le croisement des savoirs c’est primordial dans le Mouvement.

Patricia Collange : Avec nos petits moyens, être persévérant comme le Père Joseph a été.

Fanny Terrien : Continuer à développer la formation commune : ça nous permet de nous retrouver entre militants et alliés, de mieux nous comprendre pour être plus invitant.

Nos souhaits pour fêter les 100 ans de la naissance du père Joseph

Françoise Bréchot : Que le travail qui est fait dans le cadre de « Territoires zéro chômeur » prouve que c’est possible et devienne un objectif national.

Liliane Coulon : Faire un voyage pour aller sur la tombe du Père Joseph. C’est un rêve.

Fanny Terrien : Comme on fait la préparation de l’ Université Populaire à plusieurs, qu’ensemble on relise un texte du Père Joseph pour se ressourcer à ce qu’il a dit et écrit.

Valérie Dujardin : Que nous, les militants du Havre, on regarde le film sur sa vie.

Claude Hubert : Toujours travailler militants et alliés ensemble.

Angélique Jeanne : Continuer à travailler avec les militants d’autres pays comme la Belgique, l’Angleterre.

Isabelle Perrin : notre invitée. Déléguée Générale du Mouvement

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Vous avez une grande réputation, l’Université Populaire de Caen. On lit les comptes rendus avec passion. Je suis intimidée de répondre maintenant, de participer, de redécouvrir avec vous le Père Joseph parce qu’on n’a pas fini d’en faire le tour de cet homme là.
2017, c’est fêter 100 ans d’une marche qui a commencé avec le Père Joseph et qui se continue avec nous aujourd’hui. Le Père Joseph raconte que ce Mouvement est né de la colère, de la révolte contre l’humiliation qu’il a vécue avec sa mère chez le dentiste quand il avait 5 ans. Pourtant, il portait comme un enfant sa confiance en l’humanité. « Les enfants, ils ne voient jamais le monde mal. Ils pensent que le monde, il est quand même beau et ils ne le voient pas fermé ni méchant ».
Il avait une tendresse qui nous a tous touchés. Il croyait qu’au plus profond du cœur de chacun, on refuse la misère pour soi, pour sa famille et aussi pour les autres. Il fallait que sa révolte puisse sortir avec force et donc ce n’était pas gentil, la tendresse du Père Joseph. Mais j’ai senti sa confiance quand je l’ai rencontré pour être Volontaire du Mouvement. Je me suis préparée pendant 3 ans. A la première réunion des volontaires, il tape du poing sur la table et dit : « ici, il y a des jeunes qui arrivent et qui veulent être volontaires. Il faut qu’ils sachent que c’est sérieux et s’ils ne sont pas sérieux, ils peuvent repartir. »
Il a dit : « la misère, c’est le mal le plus terrible, la plus grande injustice qui soit »
Il était en permanence angoissé que le Quart Monde soit reconnu, qu’il puisse être entendu dans les lieux où l’humanité réfléchit à son avenir, comme vous l’avez dit . Car il était convaincu que le Quart Monde avait quelque chose à dire sur aujourd’hui mais aussi pour l’avenir et surtout sur le destin de l’homme. Il portait cette conviction avec une force et une exigence incroyables. Le Père Joseph nous a poussés tout le temps. Il nous houspillait, ne nous laissait pas tranquilles. Il nous a tous appelés à prendre nos responsabilités, L’État, les institutions, l’ONU, où qu’on soit, à l’école pour que tous les enfants puissent apprendre, à l’hôpital, pour que tout le monde soit soigné et respecté.
Quand j’étais jeune, je voulais m’engager contre la misère, je trouvais que c’était une injustice mais je ne savais même pas jusqu’où allait la misère dans mon pays et je ne savais pas jusqu’où les familles de mon pays souffraient à cause de la misère. Je l’ai découvert avec le Mouvement et à la fois, j’ai découvert qu’il y avait un espoir : c’était qu’on pouvait se mettre ensemble, militants, alliés, volontaires, venant d’histoires très différentes. Ensemble dans cette même recherche, comme plusieurs l’ont dit, de celui qui est vraiment le plus pauvre, qui souffre le plus et de se mettre à côté de lui. J’ai eu la chance de travailler à son secrétariat pendant les 4 années avant sa mort.
Le Père Joseph a amené dans le monde un bouleversement complet : celui de témoigner que ceux qui ont la vie la plus difficile, ont vraiment quelque chose à dire pour que notre société se construise avec plus de justice et plus de paix.
Des défis devant nous :

  • offrir le Mouvement très largement. Plusieurs l’ont dit : qu’il soutienne et renforce le courage d’autres. continuer à innover. Le Père Joseph était en permanence entrain de chercher et de créer. Il a créé un Mouvement mondial commencé à Noisy jusqu’à, maintenant, la Chine, la Côte d’Ivoire, les Etats Unis, la Bulgarie, le Liban…
  • se demander toujours dans quels lieux on doit être aujourd’hui, avec quelles personnes.
  • permettre à ceux qui résistent à la misère de se rencontrer, se reconnaître dans l’engagement d’autres qui vivent les mêmes réalités.

On reste un Mouvement petit mais on doit tout le temps avoir cette audace, cette ambition qu’avait le Père Joseph de créer des rencontres aussi comme lui il l’a fait avec nous tous aussi bien qu’avec les personnalités importantes du monde d’aujourd’hui comme le Secrétaire Général des Nations Unies. C’est un droit, pour ceux qui vivent dans la misère, que ces rencontres aient lieu. C’est un droit aussi pour le Secrétaire Général des Nations Unies de pouvoir rencontrer des délégués du Quart Monde qui lui parlent et lui disent vraiment la réalité, qu’ils l’encouragent à prendre ses responsabilités. On doit chercher des alliés, des partenaires pour soutenir notre combat.

Maggy Tournaille : Comment ce défi vous parle que les personnes qui vivent la pauvreté se rencontrent à travers le monde ?

Marie Thérèse Leprince : Je suis allée en Espagne. On se reconnaissait dans nos témoignages, dans nos expériences. On le sait que la misère est là, mais c’est autre chose de le voir de ses propres yeux ailleurs. Ça prend une autre dimension.

Angélique Jeanne : J’ai rencontré des personnes en Belgique, en Angleterre. On a eu des témoignages poignants. J’ai mon expérience de vie mais l’injustice, elle est terrible où qu’elle soit. Comme les enfants placés dans n’importe quelle institution, je trouve ça vraiment écœurant.

Florence Bellanger : Le constat que je fais et ça m’inquiète, c’est qu’au niveau local des conseils départementaux, les gens qui ont la compétence de l’Action Sociale, ne sont pas vraiment sensibilisés à nos pratiques, à nos échanges, à la question pour donner la parole à la grande pauvreté. Dans les pratiques professionnelles, c’est important d’aller vers les plus pauvres et aujourd’hui, les institutions ne le permettent pas.

Isabelle Perrin : En 2017 pour vous, quel devrait être le message essentiel de la part du Mouvement et qui nous engage ?

Prouver l’intelligence des plus pauvres aux gens qu’on rencontre

Qu’on fasse un effort auprès des jeunes car nous, on est vieillissant.

Que la parole des militants soit plus forte, aille beaucoup plus loin.

Que les humains respectent les autres humains, les enfants aussi.

Plus d’enfants placés, ça fait longtemps que ça dure.

Aller au combat, pas baisser les bras.

S’unir, tous les jours s’unir, rien laisser tomber, combattre, rester debout, digne.
La vie , c’est le plus beau, il faut continuer comme ça

Trouver des nouvelles personnes, se faire connaître de plus en plus.

Pour le compte-rendu : Geneviève Leverrier, Christelle Schmitt.