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Université Populaire Quart Monde autour du film « Les invisibles »

Les Universités Populaires Quart Monde (UPQM) sont des lieux d’écoute, de partage et de réflexion autour de thèmes en rapport avec la grande précarité. Ce sont des lieux de formation mutuelle entre les personnes qui vivent ou qui ont vécues en situation de pauvreté et les personnes n’ayant pas connu la précarité. C’est à partir du film « Les invisibles », de Louis-Julien Petit avec notamment Audrey Lamy et Corinne Masiero, que l’UP de Montreuil s’est tenue samedi 15 juin 2019.

Après un visionnage collectif du film en matinée, un temps de réflexion autour de ce dernier puis d’un repas participatif, ATD Quart Monde a accueilli Louis-Julien Petit et les actrices Adolpha Van Meerhaeghe (Chantal dans le film) et Marianne Garcia (Lady Di) au sein de l’Université Populaire de Montreuil.

« Les invisibles » est un film qui suit l’Envol, un Centre d’accueil pour femmes SDF qui, à la suite d’une décision municipale, va fermer ses portes. C’est autour de nombreux rires et anecdotes que Louis-Julien, Adolpha et Marianne expliquent le tournage et la réalisation de ce film qui se veut réaliste et humoristique.

« Les invisibles » ne traite pas explicitement les sujets de l’addiction, de l’alcool et du viol comme bien souvent dans les scénarios sur la grande pauvreté. Ces thèmes sont uniquement suggérés par le personnage de Julie, jeune femme sans-abri qui refuse d’être aidée. L’objectif est de laisser plus de place à l’humour. Mais comment rire de la grande précarité ? « Il ne faut pas rire de, il faut rire avec, répond le réalisateur. C’est dans cette manière de faire que se trouve toute la beauté de ce film qui se rapproche fortement des valeurs d’ATD Quart Monde. »

Comédie sociale réaliste sur la vie

Ce film devait être une chronique sociale, mais le premier scénario, qui a représenté 8 mois de travail, a été jeté parce que ce format ne correspondait pas au sujet. « Ce film est maintenant une comédie sociale réaliste sur la vie. Il faut rire dans les pires situations pour essayer de rassembler, lancer des débats et trouver une solution. Je ne fais pas des films juste pour raconter une histoire. Le film est une force médiatique », explique Louis-Julien Petit.

Il a été tourné avec des femmes ayant réellement connu des situations d’exclusion et de précarité. Adolpha Van Meerhaeghe, qui incarne Chantal, une femme qui a fait de la prison pour avoir tué son mari qui la battait, a aussi été cette femme dans la vraie vie. Soutenue par « sa juge », elle a d’ailleurs écrit sa biographie dans Une vie bien rangée d’Adolpha, aujourd’hui adaptée au théâtre.

C’est avec confiance et respect que les participants de l’UP échangent et partagent leurs expériences de la rue, de situations violentes et de ce ressenti d’invisibilité aux yeux des autres.

 

« Film criant de vérité, continuez. Merci. » – Un militant

« J’ai croisé que des combattantes dans ce film. » – Une militante

 

Que signifie « invisible » quand on parle de pauvreté ?

Pour les participants de l’Université populaire Quart Monde, « être invisible est le résultat de l’ignorance ». « Les invisibles, ce sont la minorité, les personnes sans-abri, mais aussi les travailleurs sociaux, qui travaillent aujourd’hui sans moyen et dans des conditions moralement difficiles. »

« On le fait parce qu’on a envie, on a la niaque. Mais il faut mettre de la distance entre le pro et le perso pour ne pas se bruler toi-même dans les métiers de passion comme celui-là», explique un travailleur social. « Ce qui rend une personne invisible, c’est l’indifférence. C’est ne pas être compris. Ainsi, rendre visible est un combat pour la dignité.

C’est une vision différente que partagent des personnes n’ayant pas vécu en situation de pauvreté, un sentiment de culpabilité. « Pour moi ils (les sans-abri) sont très visibles. Je me sens très mal, je suis comme tous ces Parisiens qui filent. Même laisser un sourire, pour moi c’est agressif ! », confie une femme.

Ces visions opposées prouvent que le croisement des savoirs de chacun est important et enrichissant pour comprendre l’autre et agir de la manière la plus juste.

Le départ de Chantal Consolini

Cette Université populaire a également été marquée par le départ de Chantal Consolini, qui en était la co-animatrice depuis six ans. Le rôle va être repris par Didier Goubert, ancien directeur de TAE (Travailler et apprendre ensemble). Un temps rempli d’émotions qui rappelle qu’une Université populaire est aussi une « assemblée bienveillante ». « C’est un lieu où on pense, on réfléchit ensemble et ça nous transforme ici, nous-même et à l’extérieur », explique Chantal. « Vous n’êtes pas le problème que vous vivez. Vous avez des savoirs, des compétences et des choses à partager. »

Un point de vue partagé par les invités :

« Je vais repartir avec des regards qui poussent à se battre. Je vous remercie tous et je vous dis merde et battez-vous. J’ai appris à lire et à écrire seule à l’âge de 14 ans, à l’école j’étais repoussée forcément. Une maîtresse m’a dit un jour ‘tu finiras comme ta mère alcoolique ! » – Marianne

« Je vais repartir avec de l’espoir pour plein de choses, parce qu’il y a des jeunes travailleurs sociaux qui se battent au quotidien. Se dire qu’ensemble c’est mieux, ne pas rester isolé. » – Louis-Julien

Participer à une Université Populaire est une expérience forte. Le partage d’expériences est important pour que les personnes en situation de pauvreté et les personnes qui ne sont pas en situation de pauvreté se comprennent. Elles peuvent ainsi dépasser les préjugés négatifs et s’aider de manière cohérente et utile sans, par exemple, développer un sentiment de culpabilité ou d’infériorité, états d’âme qui reviennent souvent.

Raphaëlle Jouannic

Photos : Carmen Martos