
Une vision transformatrice à préciser
RAPPORT DU GROUPE DE HAUT NIVEAU CONCERNANT LE CADRE DU DÉVELOPPEMENT APRÈS 2015
UNE VISION TRANSFORMATRICE, MAIS UNE MISE EN OEUVRE ET DES RESPONSABILITÉS À PRÉCISER
Tout en formulant quelques réserves, le Mouvement international ATD Quart Monde accueille avec grand intérêt le rapport que vient de publier le groupe de haut niveau nommé par Ban Ki Moon pour faire des suggestions « hardies mais opérationnelles » concernant le cadre de développement d’après 2015.
Ce rapport souligne certains succès remarquables liés aux Objectifs du Millénaire pour le Développement , notamment dans le domaine de la santé. Mais il reconnaît aussi que ces objectifs n’ont pas suffisamment cherché à atteindre les personnes les plus pauvres et les plus exclues, qu’ils n’ont pas sérieusement pris en compte l’ensemble des droits de l’homme, l’importance de la bonne gouvernance, les aspects économiques, sociaux et environnementaux du développement durable. Ils sont restés silencieux sur les effets dévastateurs des conflits et de la violence.
Ce rapport propose une vision d’un nouveau mode de développement, fondé sur plusieurs grandes orientations où l’éradication de la misère est centrale. Cependant, comme le reconnaissent ses auteurs, la traduction opérationnelle de cette vision dans des objectifs, cibles et indicateurs fournis en annexe est beaucoup plus contestable. ATD Quart Monde estime que cette traduction opérationnelle n’aide guère à faire avancer le débat.
Ce rapport propose un programme universel orienté vers les personnes et soucieux de la planète, basé sur notre humanité commune, s’adressant aux pays développés comme à ceux en développement. Nous nous réjouissons de cette proposition, attendue depuis longtemps. En effet, aucun pays développé n’a réussi à éradiquer l’extrême pauvreté et ne peut donner de leçons aux autres. Pays développés et en développement doivent mettre en commun leurs intelligences et leurs efforts pour lutter ensemble contre la misère et le réchauffement climatique. Mais le rapport utilise un indicateur qui contredit cette volonté d’universalité. La mesure de l’extrême pauvreté par le seuil de 1.25 $ par jour est simpliste et trompeuse : elle rend invisible la grande pauvreté dans les pays développés, jamais éliminée, et accrue par la crise économique et financière de 2009, et elle est entachée d’approximations telles qu’elle n’est pas fiable au niveau mondial.
Le rapport affirme qu’un nouveau modèle de développement est nécessaire, fondé sur cinq grandes réorientations, dans lesquelles chaque Etat, chaque institution, chaque personne doit prendre sa part de responsabilité:
1. Ne laisser personne de côté , en poursuivant l’éradication de l’extrême pauvreté et la lutte contre les discriminations pour que chacun bénéficie des droits fondamentaux de l’Homme. ATD Quart Monde se réjouit de cette orientation, et ajoute que le Conseil des Droits de l’Homme a adopté en septembre 2012 des Principes Directeurs Extrême Pauvreté et droits de l’Homme qui doivent guider sa mise en oeuvre.
2. Placer le développement durable au coeur des débats , et agir maintenant pour stopper la progression alarmante du changement climatique et la détérioration de l’environnement, qui constitue une menace sans précédent pour l’humanité. Atd Quart Monde rappelle que pour les familles en grande pauvreté, le danger n’est pas futur mais présent, puisqu’elles subissent déjà les conséquences dévastatrices d’environnements dégradés, sans eau potable ni installations sanitaires, vivant et travaillant dans les lieux les plus pollués, et les plus sujets aux glissements de terrain, aux inondations et autres phénomènes climatiques extrêmes.
3. Transformer les économies pour créer des emplois et favoriser un mode de croissance inclusif. Une transformation économique profonde est nécessaire pour éradiquer l’extrême pauvreté, nécessitant un changement rapide des modèles de production et de consommation dans un monde aux ressources naturelles limitées. Le rapport insiste sur la nécessité de créer des emplois décents mais semble éluder l’objectif de couverture sociale universelle, puisque l’indicateur donné en annexe ne couvre pas 100% des
personnes pauvres et vulnérables.
4. Construire la paix et créer des institutions efficaces, transparentes et responsables pour tous. La paix et la bonne gouvernance doivent être reconnues comme des éléments essentiels du bien-être. La transparence doit devenir la règle, pour que les citoyens sachent notamment où et comment les impôts, les aides et les revenus des industries extractives sont dépensés. ATD Quart Monde approuve et souligne que la lutte contre les discriminations, notamment pour cause de pauvreté, doit faire partie intégrante des objectifs et du fonctionnement de toutes les institutions. En effet, comme le reconnait le rapport, l’extrême pauvreté ne résulte pas seulement de privations économiques, mais aussi de phénomènes de stigmatisation et de discrimination, profondément incrustés dans toutes les sociétés et les cultures, qui disqualifient certaines personnes et certains groupes humains, légitimant qu’ils ne soient plus traités comme des êtres humains.
5. Créer un nouveau partenariat mondial , insufflant un nouvel esprit de solidarité, de coopération et de responsabilité mutuelle entre gouvernements, personnes en situation de pauvreté ou marginalisées, institutions multilatérales, entreprises, universités. ATD Quart Monde apprécie que les populations en grande pauvreté soient considérées comme des partenaires nécessaires, et pas comme des ‘ bénéficiaires ‘ ou des ‘populations cibles’ de programmes décidés par d’autres. Mais étant donné les inégalités immenses entre les partenaires concernés, la participation de ces populations ne pourra être effective que si elle résulte d’une forte volonté et d’investissement humains et financiers aptes à créer plus d’égalité, inscrits dans les objectifs des politiques et dans les obligations des différentes institutions de développement. La lutte contre l’extrême pauvreté ne peut aboutir quand les populations en grande pauvreté ne sont pas associées à l’élaboration des connaissances relatives au développement durable, mais aussi à l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation des politiques et programmes de développement, qui devraient avant tout renforcer et soutenir les efforts qu’elles réalisent quotidiennement pour sortir de la misère.