
1968, une année bouillonnante à la cité des Émouleuses
En 1968, Claude Ferrand (1) était un jeune volontaire permanent d’ATD Quart Monde dans la cité de transit de Créteil (Val-de-Marne).
« Nous sommes arrivés, avec Lucien Duquesne, à la Cité des Émouleuses à Créteil en décembre 1967 à la demande du père Joseph. L’année1968, nous l’avons vécue à plein avec les gens de la cité où nous habitions.
Quelque 250 familles vivaient dans cette cité de transit. En mai 1968, avec les grèves, c’était la pénurie. Les gens commençaient à avoir peur. Autant ils pouvaient être compréhensifs face aux revendications des étudiants et des travailleurs, autant ils étaient offusqués par la casse, les voiture brûlées…
C’est alors que Joseph (Wresinski) a lancé un appel à la radio pour que l’on fasse des quêtes dans la rue. Il y a eu une collecte pour les familles des Émouleuses. Un groupe de jeunes de la cité y a participé. Un comité de solidarité s’est organisé pour la distribution des fonds aux familles les plus démunies.
Il y avait aussi le lancement du Manifeste « Un peuple parle » (le cahier de doléances des plus pauvres lancé par le Mouvement). À l’époque, tous les corps constitués revendiquaient. Ceux qui n’avaient jamais la parole devaient aussi la prendre. Les jeunes des Émouleuses ont visité des familles qui ont exprimé leur ras-le-bol devant les conditions de vie dégradées, les jeunes privés d’école, etc.
C’était aussi l’opération des « Mille clubs » du Ministère de la Jeunesse et des Sports pour que la France se couvre de 1000 clubs de jeunes. On recevait des kits et on devait les construire. Avec les jeunes, on a décidé d’en bâtir un au beau milieu de la cité. L’occasion de montrer de quoi ils étaient capables…
En mai 68, le Mouvement a interpellé les étudiants pour qu’ils viennent partager leurs savoirs dans les cités. Des étudiants ont répondu à l’appel et aux Émouleuses, on a eu une équipe de Savoir dans la rue. Avec les jeunes, ils lançaient des idées, ça discutait, on montait des ateliers – guitare et poésie, photos, sculpture, mécanique, etc. On avait retenu le thème du beau. Lors de l’inauguration du « club Adam » le 23 mars 1969, il y a eu une fête du Savoir dans la rue. Ce fut une ouverture fantastique, en coopération avec les services culturels de la ville.
C’étaient les prémisses du Croisement des savoirs. Il s’est bâti une pensée, une réflexion des familles les plus pauvres que l’on « croisera » plus tard avec d’autres savoirs. On a ainsi fait place à la parole des plus exclus, la colonne vertébrale du Mouvement. »
(1) Son livre sur cette expérience, » Passeport pour une action globale concertée à partir des jeunes » (éd. Quart Monde), est épuisé mais consultable à la Médiathèque d’ATDQM à Montreuil.