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[TRIBUNE] « Dehors les sans-abri ! »

Les Présidents de plusieurs organisations et associations de lutte contre l’exclusion 1 s’inquiètent de l’hostilité exprimée par la population au projet de centre d’hébergement dans le 16e arrondissement de Paris. «Est-ce tolérable que, dans une République qui se proclame fraternelle et solidaire, des mobilisations de riverains soutenus par leurs élus visent en fait à entériner un « apartheid social »  interdisant aux plus précaires de vivre sur leur territoire?»

 

Depuis quelques semaines, une polémique fait rage autour de l’ouverture d’un centre d’hébergement provisoire devant accueillir 200 personnes sans abri dans le 16ème arrondissement. A première vue, la révolte du « carré d’or du bois de Boulogne », qui regroupe les plus aisés, contre l’implantation du premier centre d’hébergement dans cet arrondissement pourrait rester anecdotique. Les associations de solidarité et les pouvoirs publics sont habitués à des réactions hostiles et irrationnelles des riverains qui revendiquent « l’entre soi social » face à la construction de logements sociaux ou d’hébergement. Ces premiers phénomènes de rejet disparaissent d’ailleurs une fois les logements construits. Mais dans ce cas d’espèce, la violence inouïe des débats constatée en réunion publique et les expressions assumées de rejet des personnes les plus précaires, traduisent une libération de la parole « décomplexée » qui questionne notre pacte social.

La France compte, selon l’INSEE, 140 000 personnes sans domicile dont la situation sanitaire et sociale est souvent dramatique. Et moins d’une personne sur deux qui sollicite un hébergement d’urgence via le 115 obtient une solution faute de places disponibles. Comment, dans ce contexte, des habitants du 16ème peuvent-ils s’insurger contre un centre d’accueil de 200 places dans un arrondissement de 161 000 habitants, quand d’autres arrondissements parisiens proposent plus de 1 500 places ?

Pour sortir de la crise structurelle du logement, le pays doit produire du logement social et ouvrir des centres d’accueil dans tous les territoires. Les associations de lutte contre l’exclusion demandent dans ce sens, depuis 2012, l’adoption d’une loi de programmation qui change enfin la donne pour les mal-logés. Au nom de quoi certains s’exonéraient-ils de leur obligation de solidarité ?

Est-ce tolérable que, dans une République qui se proclame fraternelle et solidaire, des mobilisations de riverains soutenus par leurs élus visent en fait à entériner un « apartheid social »  interdisant aux plus précaires de vivre sur leur territoire ?

Si ces personnes sans-abri ne peuvent vivre dans le 16ème arrondissement, seront-elles aussi bientôt interdites de séjour dans les quartiers populaires d’Ile-de-France ?

La décision récente de la région Ile-de-France qui, au nom de la mixité sociale, vient de décider de supprimer les subventions au logement très social dans les quartiers disposant d’au moins 30 % de logements sociaux est d’ailleurs source d’inquiétude. Un désengagement brutal, décidé sans concertation avec les associations ni les bailleurs sociaux et qui va freiner la production de logements abordables dont les franciliens ont pourtant tant besoin. Nous partageons l’idée qu’il ne faut pas concentrer les personnes en difficulté dans les quartiers défavorisés. Mais, dans ce cas, pourquoi la région n’augmente-t-elle pas dans le même temps ses crédits au logement social et à l’hébergement dans les quartiers les plus favorisés ? Il y a fort à craindre que les plus pauvres ne deviennent les indésirables du territoire francilien.

En réalité, ce sont bien les sans-abri et les mal-logés qui sont les premières victimes de ces réactions, ceux dont on accepte l’errance « dehors » tant qu’ils vivent « ailleurs ». Cette ségrégation sociale alimente la pauvreté, dégrade l’esprit civique et républicain. Elle renforce notre détermination pour que le droit au logement et à l’hébergement des plus précaires s’applique, plus que jamais, sur l’ensemble des territoires de la République.

Les signataires :

Louis Gallois, Président de la FNARS (Fédération Nationale des Associations d’Accueil et de Réinsertion Sociale)

Véronique Fayet, Présidente du Secours catholique /Caritas France

Thierry Kuhn, Président d’Emmaüs France

Marc Prévot, Président d’Emmaüs Solidarité

Claire Hédon, Présidente d’ATD Quart Monde

Raymond Etienne, Président de la Fondation Abbé Pierre

Françoise Sivignon, Présidente de Médecins du monde

Patrick Doutreligne, Président de l’Uniopss

Notes

  1. FNARS, UNIOPSS, Médecins du monde, Emmaüs France, Emmaüs Solidarité, Fondation Abbé Pierre, ATD Quart Monde, Secours catholique