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Territoires zéro chômeur de longue durée : des espoirs et un blocage en Alsace

Plusieurs projets ont vu le jour en Alsace pour faire partie de l’expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée. Mais, sans l’accord de la Collectivité européenne d’Alsace, ces initiatives sont bloquées.

Ils sont ressortis « dépités » de la Collectivité européenne d’Alsace. Le 11 avril dernier, une délégation d’une dizaine de personnes impliquées dans les projets Territoires zéro chômeur de longue durée de Strasbourg et Wittenheim ont été reçues pendant près d’une heure et demie par la vice-présidente chargée des solidarités, Fatima Jenn. Leur discussion s’est terminée sur cette sentence : « c’est niet ». Une réponse « très frustrante » pour Jean-Marc Blezel, président de l’association de soutien au projet Territoires zéro chômeur de longue durée alsacien. Lui qui a découvert l’expérimentation avec le film de Marie-Monique Robin, Nouvelle cordée, avait l’espoir de voir aboutir ce « projet de société » dans sa région, où plusieurs réflexions ont été lancées dès 2018, à Schiltigheim d’abord, puis à Illkirch, et enfin à Wittenheim et Strasbourg. Dans ces deux dernières villes, les projets sont déjà bien avancés et les candidatures déposées.

Des activités utiles au territoire

À Strasbourg, la Ville s’est portée candidate dans deux quartiers. « Il y avait une vraie dynamique collective, avec tous les acteurs, Pôle Emploi, la Chambre de commerce et d’industrie, les associations, les commerçants et les personnes privées durablement d’emploi », détaille-t-il. Le dossier a été déposé fin octobre 2022 au Fonds d’expérimentation, mais il manquait la délibération de la Collectivité européenne d’Alsace, indispensable. La réponse a tardé à arriver, laissant chacun dans le doute. Mais pour la Collectivité européenne d’Alsace, pas question de « se disperser » et de financer autre chose que « l’accompagnement des allocataires du RSA », résume le délégué régional d’ATD Quart Monde, Hubert Menet, engagé dans ces projets depuis 2018.

À Wittenheim, les rendez-vous d’information avec les personnes privées d’emploi avaient pourtant montré que 44 d’entre elles étaient motivées pour commencer rapidement dans une Entreprise à but d’emploi. Des activités de conciergerie avaient été imaginées, et l’équipe locale envisageait de développer des emplois liés à du recyclage et à du maraîchage, mais aussi à l’aide à domicile. Partout, les commerçants et les bailleurs sociaux s’étaient montrés intéressés pour permettre la réalisation de prestations qu’ils ne peuvent assurer, souvent pour des raisons de rentabilité. « C’est une voie supplémentaire pour répondre aux besoins. Il y a un tas de petites activités possibles et qui seraient utiles au territoire », souligne Jean-Marc Blezel, qui ne comprend pas la décision de la Collectivité européenne d’Alsace. « Nous ne nions pas que le département est actif pour l’insertion et cela permet à certaines personnes de rebondir. Mais cela reste souvent des emplois précaires. Il y a des personnes qui passent beaucoup de temps à entrer dans un système d’insertion, en ressortir, retourner à Pôle emploi, puis recommencer. Ils n’en sortent jamais », complète Hubert Menet.

Un dispositif « qui fait ses preuves ailleurs »

Pour le président de l’association de soutien, Territoires zéro chômeur de longue durée est une expérimentation novatrice, car elle « réfléchit à l’envers ». « On ne prend pas les gens par rapport à leur CV en regardant s’ils rentrent dans les cases. Ce sont des personnes qui sont exclues de l’emploi, voire parfois de la société. Elles sont volontaires pour travailler mais, souvent, elles ne peuvent le faire dans les conditions du marché du travail actuel qui est parfois rude et très sélectif. On crée l’activité par rapport à leurs compétences, en proposant un CDI et un temps d’activité choisi », décrit-il. Envieux du département voisin des Vosges, où un Territoire zéro chômeurs de longue durée a été habilité en février, permettant d’embaucher 30 personnes en CDI, il ne voit pas « pourquoi l’Alsace se priverait de ce dispositif qui fait ses preuves ailleurs ».

Ahmed Kenoufi, bénévole dans l’équipe du projet de Wittenheim, commençait à en rêver de cet emploi. Ancien adjoint administratif et assistant pédagogique, il est tombé gravement malade en 2019. « Je pensais que je ne servais plus à rien, que c’était fini pour moi. Dans l’univers du travail, quand vous avez plus de 50 ans, vous avez du mal à trouver un job », explique-t-il. Mais il a rejoint le projet en 2021 et s’est beaucoup investi. « Cela me permettait de sortir, de me rendre utile, de partager mon expérience. Cela me plaisait vraiment de pouvoir encore apporter ma pierre à l’édifice pour réaliser un projet tous ensemble. On ne demande pas la charité, juste un travail », précise-t-il. Même s’il a du mal à se remettre de la décision de la Collectivité européenne d’Alsace, il garde espoir. « Je pense qu’il va y avoir une autre issue. J’essaye d’y croire quand même. » Les municipalités de Strasbourg et de Wittenheim ont déjà exprimé leur intention de poursuivre les projets, pour expérimenter de nouvelles solutions face au chômage.

Cet article est extrait du Journal d’ATD Quart Monde de juin 2023.

Photo : Manifestation devant la Collectivité européenne d’Alsace, le 11 avril. © H. Menet