
Terre d’errance, solidaire avec les migrants dans le Pas-de-Calais
L’Europe construit des murs, des manifestants dénoncent l' »invasion » de réfugiés… Sur le terrain pourtant, des personnes se solidarisent avec les migrants. Près de Calais, Monique, d’ATD Quart Monde, a rejoint le collectif Terre d’errance mobilisé contre les conditions de vie indignes dans la « petite jungle » de Norrent-Fontes.
Le vendredi pour Christiane, c’est sacré. C’est le jour où elle apporte ses 25 kilos de pommes de terre aux migrants. Elle s’y met la veille: il faut les éplucher, les faire cuire, les couper en morceaux et les assaisonner – une partie avec piments, une autre sans. Mais ce vendredi 3 mars est exceptionnel: Christiane, 76 ans, conduit son mari à un rendez-vous à l’hôpital. « Je n’ai pas eu le choix, sinon j’aurais jamais accepté », soupire-t-elle.
Monique, membre d’ATD Quart Monde, est passée récupérer les pommes de terre. Christiane a même prévu un rab, non épluché, au cas où. Ces jours-ci, les migrants – essentiellement de jeunes érythréens – sont environ 200. Mais leur nombre fluctue au gré des arrivées, et des départs vers l’Angleterre.
Un formidable réseau de solidarité s’est formé autour de la « petite jungle » de Norrent-Fontes, à 60 kilomètres de Calais, l’une des toutes premières « jungles » de la région.
« Il y a douze ans, se souvient Monique, un prêtre local, aujourd’hui décédé, avait découvert des familles kosovares vivant au bord de la route. » Il crée alors le collectif Terre d’errance. Au fil des ans, les migrants arrivent toujours plus nombreux.
Gadoue
Christiane a aussi préparé deux grands sacs pleins de sauces données par les supermarchés. Trois fois par semaine, Monique « fait le tri ». Au Carrefour d’Isbergues, à côté de Norrent-Fontes, elle rejoint Alain, un autre bénévole, venu récupérer des denrées jugées invendables. Puis dans le camp, elle trie les fruits et les légumes et jettent ceux trop abîmés.
Il a plu toute la nuit. A tout moment, on risque de glisser dans la gadoue qui colle aux chaussures. Les migrants se chauffent debout face au soleil, à côté de leurs tentes humides faites de simples bâches.
Des hommes hèlent Monique: « mama, shower (douche en anglais) ? ». Ancienne prof d’anglais, elle confirme que c’est bien aujourd’hui à 14 heures, comme chaque semaine, que les réfugiés pourront se doucher dans les vestiaires du stade de foot d’Isbergues.
Puis elle s’arrête dans une cabane en bois. Une jeune fille fait cuire des nouilles sur une gazinière bien trop petite pour cuisiner pour 200 personnes. Monique s’assied sur un tabouret en cagettes. Des réfugiés la reconnaissent et se serrent sur un divan improvisé. En anglais, elle s’enquiert des uns et des autres.
Maires
A l’extérieur, on a apporté de l’eau dans un petit réservoir. Les conditions d’hygiène sont déplorables. Les deux toilettes sèches ont vite été abandonnées. Des détritus jonchent le sol. Les problèmes de santé sont nombreux. Heureusement, on compte un dentiste et un médecin parmi les bénévoles.
A 14 heures, les portes des douches du stade s’ouvrent – les réfugiées filles ont deux autres lieux pour se doucher. Des habitants font des aller-retours en voiture pour amener les migrants. Des bénévoles fournissent serviettes et savons. Le « maire hospitalier » – c’est ainsi que l’on désigne les élus accueillants – d’une commune voisine a mis à disposition deux grandes machines à laver dans une pièce du presbytère désaffecté.
Installées derrière une table dans un vestiaire, Monique et deux bénévoles proposent les pommes de terre de Christiane. Murielle est arrivée avec les 8 grands sacs remplis de pains que son boulanger lui donne chaque semaine. Odile a fait des oeufs durs. Ils disparaissent en un clin d’oeil.
Liens
Dans un coin équipé de prises, les migrants rechargent leurs portables. « Ceux qui n’ont pas fini pourront le faire à l’église », précise Monique.
Dehors, Marie vient de se garer, des vêtements entassés sur la banquette arrière. Grâce à une amie qui vend sur les marchés, elle récupère des stocks. Des migrants lui ont « commandé » des parkas, des blousons chauds, des chaussures…
Certains semblent à peine sortis de l’enfance. Peu parlent l’anglais. Fugitifs et éphémères, des liens pourtant se nouent: un sourire et quelques mots échangés, un bonjour maladroitement prononcé… « Lorsqu’ils étaient moins nombreux, on avait plus le temps de se parler », regrette Monique. Souvent, ceux qui réussissent à passer donnent des nouvelles depuis l’Angleterre.
Certains habitants n’apprécient guère ces migrants qui marchent le long des routes et les gestes de solidarité à leur égard. Mais régulièrement Monique trouve des paquets sur son perron. La dernière fois, c’étaient des noix, pour les migrants. C’est ce qu’elle préfère retenir.
Véronique Soulé
Photo: Monique Suarez discutant avec les migrants dans le camp de Norrent-Fontes le 4 mars 2016 (F. Phliponeau, ATD QM)