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Témoignages et réflexions autour des dimensions cachées de la pauvreté

Plus de 400 personnes se sont réunies vendredi 10 mai à l’OCDE, à Paris, pour la présentation de l’étude menée par ATD Quart Monde et l’Université d’Oxford sur les « dimensions cachées de la pauvreté ».

Après près de trois ans de travail, ATD Quart Monde, en collaboration avec l’université d’Oxford, a présenté les résultats de la recherche sur les « dimensions cachées de la pauvreté » à l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le 10 mai 2019.

Cette journée, riche en témoignages de personnes vivant en situation de pauvreté, mais aussi de chercheurs et d’experts d’institutions internationales, a permis de « mettre en lumière la puissance destructrice de la pauvreté et la résistance de celles et ceux qui font face à la misère », selon les mots de conclusion de la déléguée générale du Mouvement international, Isabelle Pypaert Perrin.

Créer de nouvelles mesures de la pauvreté

Sur la base des neuf dimensions de la pauvreté définies dans les six pays (Bangladesh, Bolivie, États-Unis, France, Royaume-Uni et Tanzanie), des statisticiens de l’Insee, de l’ONU, de la Banque mondiale et de l’OCDE notamment se sont interrogés sur la manière de créer de nouvelle mesures de la pauvreté. Une ambition qui semble encore difficile à concevoir concrètement. Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques), estime ainsi que son institution  « a des progrès à faire pour documenter la maltraitance institutionnelle et sociale ».

« Aujourd’hui, le revenu moyen des 10 % les plus riches dans les pays de l’OCDE est dix fois supérieur au revenu moyen des 10 % les plus pauvres. Ce chiffre est très grave et effrayant. Mais les chiffres ne nous disent pas tout. Nous oublions trop souvent d’écouter, de porter la voix de ceux qui vivent en situation de pauvreté, nous les dépossédons de leur pouvoir d’agir », souligne pour sa part le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria. Il rappelle que l’outil traditionnel de mesure de la pauvreté, qui est le seuil de 1,9 dollar par jour, est aujourd’hui « inadapté ». « La pauvreté est multidimensionnelle, il ne s’agit pas seulement d’une question de revenus, c’est l’incapacité de s’épanouir pleinement comme être humain », affirme Angel Gurria.

Pour Jean-Paul Moatti, P-DG de l’Institut de recherche pour le développement, « il faut arrêter de se limiter à une conception strictement basée sur le seuil monétaire pour parler de pauvreté et passer à une conception multidimensionnelle de la pauvreté ». Il estime que « les conclusions de la recherche menée par ATD Quart Monde et l’université d’Oxford convergent vers certaines des avancées les plus récentes de la science ».

Combat et compétences

Les équipes de recherche ont  également pointé dans l’étude le « combat continu pour survivre des personnes en situation de pauvreté, mais aussi leurs compétences », trop souvent oubliées. Ruth Lister, professeure de politique sociale à l’université de Loughborough (Angleterre), constate ainsi une « déshumanisation » des personnes vivant dans la pauvreté : « Dans notre préoccupation de compter, de classer ‘les pauvres’, on oublie les individus qui sont derrière. Il faut reconnaître les personnes vivant dans la pauvreté comme des semblables humains et non comme un problème devant être traité. » Elle remarque que ces personnes sont traitées comme « ‘autres’, ‘différentes’, ‘inférieures’ ». Cela crée « une frontière entre ‘nous’ et ‘eux’ qui va maintenir et justifier une frontière sociale. ‘Les pauvres’ sont perçus comme une menace, un objet de pitié, voire un objet exotique. On leur refuse leur humanité ».

La recherche montre ainsi l’importance de la « maltraitance institutionnelle et sociale » que subissent les personnes en situation de pauvreté, qui se caractérise par « des jugements négatifs préjudiciables, la stigmatisation et le blâme ». Une dimension prise en compte par la présidente du Secours catholique-Caritas France, Véronique Fayet : « La société continue à penser que les personnes qui subissent la pauvreté ont surtout besoin d’aide d’urgence. Personne ne voit leur souffrance, la peur et la honte qui les nouent chaque fois qu’ils doivent pousser la porte d’une administration. »

Participer à l’élaboration de nouvelles politiques

Les militants Quart Monde ayant participé à la recherche saluent quant à eux la démarche du Croisement des savoirs et des pratiques. Méthode déposée par ATD Quart Monde fin 2012, elle vise à créer les conditions pour que le savoir issu de l’expérience de vie des personnes en situation de pauvreté puisse dialoguer avec les savoirs scientifiques et professionnels. « Nous avons gagné en respect et en dignité« , témoigne ainsi l’un des militants, tandis qu’un autre rappelle : « On ne veut pas seulement qu’on nous pose des questions ou qu’on soit consulté, on veut participer à l’élaboration de nouvelles politiques » pour éradiquer la pauvreté.

« Merci d’avoir osé ce que le monde universitaire n’ose pas encore faire : faire de la place aux savoirs des personnes en situation de pauvreté. Cela nous ouvre un champ d’actions. Il s’agit de rejoindre, sans nous l’approprier, le combat pour l’égale dignité de tous, pour la justice, pour la paix« , conclut Isabelle Pypaert Perrin.

Julie Clair-Robelet

Télécharger le rapport complet et revoir la conférence.

Photo : L’ensemble des participants à la recherche présents à l’OCDE le 10 mai. Carmen Martos, ATDQM.